samedi 2 octobre 2010

Bissonnet: Pleurnicheries et machination

Heureusement, il n’était plus là pour voir ça. Quelques minutes avant de quitter vendredi matin la salle d’audience de la cour d’assises de l’Hérault, Pierre Juan, un commerçant retraité de 79 ans, a évoqué avec dignité Bernadette, sa fille adorée, cette femme "merveilleuse", cette mère accomplie "heureuse d’être avec son mari" dans cette maison de magazine déco à Castelnau-le-Lez (Hérault), sur les hauteurs de Montpellier. Un vieil homme tiraillé entre son fils Jean-Pierre, qui croit Bissonnet coupable, et ses petits-fils Florent et Marc, qui soutiennent leur père, accusé d’avoir planifié le meurtre de l’ancienne pharmacienne en mars 2008. "Je suis entre les deux", a-t-il reconnu, ajoutant qu’il "n’avait jamais eu aucun doute sur l’innocence de ce gendre idéal".


Heureusement, Pierre Juan n’a pas vu l’avocat général en robe et lunettes rouges se lever brusquement vers 10 h 30 et jouer son monsieur Loyal. Avec un plaisir non dissimulé, le magistrat a mis de longues minutes pour expliquer qu’il devait communiquer séance tenante au président et à l’ensemble des parties des documents importants transmis durant la nuit par la police judiciaire de Montpellier. Après une interruption de séance d’une heure, il a enfin révélé qu’un détenu incarcéré avec Jean-Michel Bissonnet avait intercepté un courrier de plusieurs pages assorti d’un plan et d’une photo destiné à un autre ancien détenu écroué aujourd’hui à Perpignan. "C’est une tentative de subornation de témoin qui a un impact direct sur le dossier", a asséné Pierre Denier. Il a expliqué que l’accusé avait utilisé dans sa cellule son ordinateur et son imprimante pour coucher sur le papier un plan visant à faire accuser son ancien ami le vicomte Amaury d’Harcourt, qui, mardi, a reconnu avoir récupéré l’arme du crime à la demande de son ancien "meilleur ami" de quarante ans.


"Tout a été scénarisé avec des descriptions précises et des détails sur l’assassinat de Mme Bissonnet et sur la propriété de M. d’Harcourt, a expliqué l’avocat général. Il y avait même le code d’entrée de la maison!" Ce dernier soupçonne Jean-Michel Bissonnet d’avoir voulu ainsi crédibiliser le témoignage du détenu qui, bien évidemment n’avait jamais croisé l’aristocrate. Après avoir reçu ce plan, le détenu devait adresser une lettre au début du procès et expliquer qu’il avait été recruté en 2006 par d’Harcourt pour éliminer Bernadette Bissonnet qui ne voyait en lui qu’un "pique-assiette" désargenté. Un coup de théâtre qui, selon l’accusé, lui aurait permis d’être remis en liberté. L’homme d’affaires lui aurait promis une rémunération contre ce faux témoignage.


"Ma confiance a été trahie, je le renvoie à son destin"
"Je suis en colère et consterné", s’est élevé Me Luc Abratkiewicz, l’avocat du frère de la victime, traité de "con" dans le courrier de Jean-Michel Bissonnet. Ce dernier y décrit son beau-frère comme un être jaloux, mal-aimé de son père et de sa sœur Bernadette. Visiblement accablée, Me Raphaëlle Chalié a rappelé à l’accusé qu’elle représentait ses enfants. "Vous leur devez la vérité, parlez", a-t-elle imploré, l’air grave. "J’en appelle à votre sens moral."


Vêtu d’un costume sombre et d’une cravate, le membre éminent du Rotary s’est enfin levé et a croisé les mains devant lui comme un enfant pris en faute. La salle comble a retenu son souffle. "Je suis innocent", a-t-il alors lancé. "Je suis incarcéré sur la foi de mensonges", a-t-il ajouté avant de se perdre dans des justifications inintelligibles. "Je suis naïf, je suis dans un monde de fous", a-t-il poursuivi. "Ces documents, j’en assume la responsabilité." Se disant "désespéré" et "désemparé", l’accusé a tenté de faire croire qu’il avait été roulé par un escroc qui lui aurait fait miroiter une sortie de prison. "Du fond de mon cœur, je n’ai jamais voulu la mort de Bernadette, elle me manque tous les jours", a-t-il pleurniché. "J’ai jamais voulu la mort de maman", a-t-il ajouté en fixant ses deux enfants, présents au premier rang de la salle.


Le visage décomposé, le regard encore plus noir que d’habitude, Me Jean-Marc Darrigade, l’un de ses deux avocats, s’est levé et a réglé le sort de son client en trente secondes. "Ma confiance a été trahie, il n’a pas écouté nos conseils, je le renvoie à son destin", a-t-il déclaré avec solennité. Son confrère Me Georges Catala n’a pas été plus charitable.


Ravi de jouer les trublions de service, l’avocat général a lancé une nouvelle provocation à l’adresse de l’accusé, destinée à le faire sortir de ses gonds. "Il est fou", a-t-il assuré, raillant le scénario "abracadabrantesque" et la "thématique délirante" du prévenu. Il a d’ailleurs demandé une nouvelle expertise psychiatrique. "Je ne suis pas fou, tout a été fait pour me faire passer pour un fou!" a alors hurlé Jean-Michel Bissonnet. Conscient que le départ des avocats de l’accusé changeait la donne, tous les acteurs de ce procès à grand spectacle sont convenus qu’il fallait au minimum suspendre le procès ou le renvoyer. Pierre Denier a rappelé que Meziane Belkacem, qui a reconnu mercredi avoir abattu Bernadette Bissonnet à la demande de son époux et contre 30.000 euros, et le vicomte Amaury d’Harcourt attendaient d’être jugés. La salle s’est alors souvenue que l’Algérien transparent dans son box et le notable de 85 ans, sagement assis dans un fauteuil, étaient effectivement là…


Le procès a été renvoyé au 10 janvier 2011, ce qui permettra de connaître les conclusions de l’enquête sur cette tentative de subornation de témoins. Un nouvel épisode qui pèsera lourd dans la balance de cet homme déjà accusé d’avoir conçu un plan machiavélique pour supprimer une femme qu’il ne supportait plus. "Cette nouvelle affaire démontre que l’accusé est un grand manipulateur, mais cette fois-ci il a été pris à son propre jeu", conclut


Me Luc Abratkiewicz. Pierre Juan n’était plus là quand la cour d’assises a fermé ses portes en fin d’après-midi. Aujourd’hui, beaucoup se demandent où il est.
http://www.lejdd.fr/Societe/Justice/Actualite/Bissonnet-Pleurnicheries-et-machination-224142

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire