jeudi 20 janvier 2011

Un ministre de Chirac condamné à tort

C’est un événement majeur comme il s’en produit rarement dans les annales judiciaires, a fortiori lorsqu’il s’agit de délits politico-financiers. Pierre Bédier va demander une requête en révision de son procès et celle-ci à de bonnes chances d’aboutir. Ancien ministre de Jacques Chirac, en charge des programmes immobiliers de la justice, député et président du conseil général des Yvelines, Pierre Bédier a été condamné le 12 décembre 2006 à dix-huit mois de prison avec sursis, 50.000 € d’amende et trois ans de privation de ses droits civils et civiques pour corruption passive – ce qui signifie qu’il est inéligible pendant six ans. Sa condamnation a été confirmée en appel, puis en cassation, le 20 mai 2009. Faits rares : Eric Raoult, député (UMP), « abasourdi », s’était insurgé publiquement contre cette condamnation « invraisemblable », tandis que Jean-François Copé déplorait « une vraie perte pour notre famille politique et pour notre pays ». Alors patron des députés UMP, il ajoutait : « Dans le milieu politique, il est un de mes rares vrais amis. » Après sa condamnation définitive, Pierre Bédier a été aussitôt nommé « parlementaire en mission », pour plus de six mois, par François Fillon, ce qui a évité l’organisation d’une élection législative partielle, tout en marquant le soutien de l’appareil d’Etat.






Des témoins receleurs






Bédier a été condamné – sans la moindre preuve formelle – sur la base de quatre témoignages : celui d’Aloka Delfau, l’épouse éconduite d’un entrepreneur, Michel Delfau (mort d’un cancer en 2005) dont elle a affirmé qu’il arrosait les élus locaux, parmi lesquels Bédier ; le fils mineur d’Aloka, Yann Laurent ; Karen Desmedt, la maîtresse de Delfau, et le comptable de son entreprise. Karen avait « assisté » à une remise d’enveloppe, dans un restaurant, pendant qu’elle « se rendait aux toilettes ». Témoignages flous, pris pour argent comptant et validés par Philippe Courroye, alors juge d’instruction à Paris.






Problème : en droit, les témoignages ne peuvent être pris en compte lorsqu’ils émanent de personnes mises en examen. Dans ses conclusions déposées à l’audience du 2 avril 2008, Olivier Schnerb, avocat de Bédier, lève un lièvre : « Il vient d’être démontré que les quatre individus présentés comme “témoins” auraient dû être mis en examen pour des faits de recel, dont les montants cumulés sont supérieurs de cent fois à ceux dont ils accusent Pierre Bédier d’avoir profité. »






« Il parlait à ma place »






Philippe Courroye se serait-il abstenu de mettre en examen les dénonciateurs de sa cible pour valider leur témoignage ? Ou pire, aurait-il négocié celui-ci contre la promesse de ne pas être inquiété ? Un procès-verbal d’interrogatoire dans une autre affaire, révélé hier par La Croix, donne corps à ces soupçons. En 2009, le liquidateur des sociétés de Michel Delfau porte plainte contre Aloka, Yann, Karen et le comptable. Le juge désigné, René Gruman, démonte leurs trains de vie fastueux – grands hôtels, voitures de luxe, achat de bijoux, etc. Les propos qu’ils tiennent devant lui « contredisent ceux qui ont été consignés par les services de police dans le cadre de l’instruction menée par le juge Courroye », écrit La Croix. Karen affirme notamment que ses propos « ont été déformés », que les policiers lui ont « extorqué des mots qui n’étaient pas vraiment (ses) propos ». Du juge Courroye, elle dit : « Dès que je parlais, il parlait à ma place, je ne comprenais pas pourquoi. »


Le juge Gruman, qui a déjà marqué publiquement sa défiance vis-à-vis de Courroye, son procureur, découvre que la petite bande bénéficiait, de surcroît, d’emplois fictifs. Il a mis en examen, il y a un an, Karen et Yann et s’apprête à entendre Aloka.






« Tout est remis en question »






Des éléments dont Philippe Courroye a eu forcément connaissance. Il a pourtant cité Aloka, Yann et Karen au titre de simples témoins. « Tout est donc remis en question, affirme Olivier Schnerb : même dans l’hypothèse peu probable où ils bénéficieraient d’un non-lieu, le seul fait qu’ils aient été mis en examen constitue un fait nouveau et ôte toute valeur juridique à leur témoignage. »






Actuellement en déplacement au Burkina, Pierre Bédier n’a pu être joint, ni par son avocat, ni par nous-mêmes. Mais Olivier Schnerb ne doute pas que, dès le contact établi, l’ancien ministre l’autorisera à déposer une requête en révision du procès. Elle a d’autant plus de chance d’aboutir que le vent a tourné : tant qu’il l’avait en poupe, Philippe Courroye était indéfectiblement soutenu par sa hiérarchie et par ses pairs ; mais aujourd’hui, après sa mise en cause publique de sa collègue Isabelle Prévost-Desprez et le refus de Nicolas Sarkozy de lui confier le poste de procureur de Paris, il navigue vent debout.






Un magistrat sur le gril
La remise en question de l’instruction conduite par Philippe Courroye, alors juge d’instruction à Paris, dans l’affaire Bédier, entre en résonance avec le livre que vient de publier notre collaborateur Airy Routier, sur la personnalité et les méthodes du juge Courroye : Enquête sur un juge au-dessus de tout soupçon, Philippe Courroye, un pouvoir (Fayard). Jadis admiré pour avoir fait tomber des ministres comme Michel Noir, maire RPR de Lyon et Alain Carignon (maire RPR de Grenoble) et s’être attaqué, avec des méthodes abruptes, à des personnalités comme Jean-Christophe Mitterrand ou Charles Pasqua, Philippe Courroye est aujourd’hui critiqué pour la façon dont il a instruit l’affaire dite de l’Angolagate – examinée depuis hier par la cour d’appel de Paris – qui a empêché le sénateur des Hauts-de-Seine, condamné en première instance à un an de prison ferme, de se présenter à l’élection présidentielle de 2002, laissant le champ libre à Jacques Chirac. Devenu procureur général de Nanterre, alors que le poste de procureur de Paris lui avait été promis, Philippe Courroye s’est brûlé les ailes dans l’affaire Bettencourt où, après avoir refusé l’ouverture d’une information judiciaire, sa hiérarchie a fini par le dessaisir de ses enquêtes préliminaires et par dépayser le dossier, confié à des juges d’instruction de Bordeaux. Le livre démonte les rouages secrets de ce personnage hors norme
http://www.francesoir.fr/actualite/faits-divers/un-ministre-chirac-condamne-tort-65497.html

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