jeudi 2 juin 2011

Viols : le courage de la plainte

En choisissant la justice afin de faire toute la lumière et de tourner la page sur les crimes sexuels qu'elles avaient subis de leur grand-père paternel durant plusieurs années de leur enfance, Florence et Pascale Dufau, respectivement âgée de 31 et 35 ans, savaient pertinemment qu'elles s'exposaient.
Les faits (ils ont été requalifiés, voir encadré) que les deux sœurs dénonçaient, hier, devant le tribunal correctionnel de La Rochelle, dataient de plus de vingt ans. Ils avaient déchiré la famille et la déchiraient encore. Pour ces deux femmes, le traumatisme de leur viol ne s'était pas refermé au fil des années. Il avait déjà gâché, comme le rappelait leur avocate Me Sylvie Nourrigeon, « de trop nombreuses années de leur vie ».


La reconstruction passait par des psychothérapies, de l'entourage, de la confiance, dont celle essentielle des maris, mais aussi par un procès. Pascale et Florence le souhaitaient aussi en tant que mère de famille. Pour leurs propres enfants. L'avocate demandait 40 000 € pour le préjudice subi par Florence.

Deux sœurs solidaires

Pour Florence seulement (1), car le grand père n'eut à répondre que de ce qu'il avait fait endurer à la cadette ; les faits concernant l'aînée étant prescrits. Qu'importait au fond pour les deux sœurs. Elles ne faisaient qu'une.

Sur le banc de la partie civile, elles se soutenaient encore dans cette lutte contre la loi du silence, contre le secret de famille. Elles étaient là pour se débarrasser de la honte qu'elle avait endossée malgré elles, comme tant de victimes de viol. Elles se serraient l'une contre l'autre. Lorsque les yeux de l'une se remplissaient de larmes, sa sœur lui prenait la main. Lorsque la douleur du souvenir encore trop pressant, celui de l'index gauche du grand-père, doigt marqué par un accident de travail, crispait le visage de l'une, l'autre, dans la salle d'audience, lui parlait doucement à l'oreille, l'apaisant.

Le prévenu reconnaît

Le grand-père, marqué par les années mais pas taraudé par des excuses, reconnaissait tout de go, les caresses, les viols digitaux, de ses deux petites filles dans son propre lit, dès lors que son épouse l'avait quitté. Il contestait juste, un peu, l'âge de ses victimes. Quelques années de plus au moment du crime n'auraient d'ailleurs rien changé.

Conscient ou pas d'avoir échappé aux assises, il lâchait à plusieurs reprises, à défaut de fournir le début d'une explication sur son comportement : « Ce qu'elles ont dit c'est vrai. Ce ne sont pas des menteuses. Je suis un salaud. Faites de moi, ce que vous voulez. »

La posture était prise, résignation feinte ou pas. Le grand-père n'en bougera pas même lorsque la présidente Anne-Marie Lapraz l'encourageait à l'introspection, puis lorsque la magistrate lui démontrait qu'il avait inlassablement nié. Des années, durant jusqu'à détruire la parole d'une enfant qui s'était confiée avec ses mots à ses parents et, bien plus tard, à l'automne 2010, jusqu'à la première audition devant les gendarmes.

Là, à la barre, le vieil homme, décrit comme autoritaire, s'embourbait dans des bribes de phrases ambiguës. Au fond de la salle d'audience, son épouse de toujours prenait sa part de douleur, elle qui n'avait jamais rien su. Céline Lapègue, l'avocate du prévenu, n'aurait pas une défense facile.

« Un besoin de vérité »

Avant cela, tour à tour, les victimes avaient expliqué à la barre, dignement et avec émotion, leur « besoin de vérité, de reconnaissance ». Florence balayait les excuses que le vieil homme n'avait même pas bredouillées.

Le choix de ces deux femmes, soucieuses de toutes les autres victimes de viols ou d'agressions sexuelles, avait été mûri, réfléchie et résolu. Sans calcul.

Absence d'empathie

En préambule de ses réquisitions, la procureur Isabelle Jubineau avait insisté sur « le courage des deux victimes. La honte n'est pas de votre côté, elle est du côté de M. Dufau. »

La magistrate avait en tête l'analyse psychiatrique du prévenu qui concluait à l'absence d'empathie pour ses victimes et pointait son caractère égocentrique. Elle requérait « une peine d'opprobre public » : deux années de prison avec sursis et l'inscription au fichier des délinquants sexuels.

Après son délibéré, le tribunal condamnait André Dufau au double et divisait par quatre la demande de la partie civile.

Aller au commissariat

Au sortir de l'audience, appréciant le chemin parcouru pour briser le tabou de l'inceste et le chemin qu'elle avait encore devant elle pour tourner cette sombre page, les deux sœurs confiaient : « C'est le dépôt de plainte [effectué conjointement le 22 septembre 2010] qui a été le moment le plus difficile. Le plus difficile a été de monter les marches du commissariat. »

Quelques marches pour retrouver sa dignité et obtenir justice.

(1) Pour obtenir réparation pour Pascale, l'avocate engagera une procédure au civil.
http://www.sudouest.fr/2011/06/01/viols-le-courage-d-e-la-plainte-414511-1391.php

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