vendredi 16 décembre 2011

Le braconnier du Morvan

Dès l’enfance, à l’instar de nombreux autres Morvandiaux de son milieu, Claude manifeste un goût prononcé pour la chasse. La chasse est alors un plaisir, un loisir, mais elle est surtout, dans cette contrée rude où la terre peine à nourrir les hommes et les femmes – en dépit de la sueur dont ils l’arrosent au fil des étés – un fameux moyen d’améliorer la pitance quotidienne. Faute de saupiquet des Amognes, un lapin à la nivernaise, un pain de lapin du braconnier, un lapereau sauce poulette ou un rôti de marcassin sont un fameux moyen d’améliorer la pitance journalière. Plus vif et plus intelligent que la moyenne de ses camarades sur les bancs de l’école, Claude est aussi un fin chasseur. Rusé, leste, c’est par cœur qu’il connaît les forêts et les bois. Cependant, parvenu à l’âge adulte, il doit choisir un métier. Il opte pour celui de maréchal-ferrant. Nul doute que son adresse et sa robustesse feront merveille dans cette profession. Notre Morvandiau accomplit donc son tour de France, puis il revient s’établir dans sa commune natale. Voilà donc notre artisan installé, fièrement campé sur le seuil de sa boutique. Il ne reste plus qu’à imaginer qu’une fraîche morvandelle viendra remplir le rôle attendu de l’heureuse épousée pour lui donner une ribambelle de beaux bébés. Mais la vie, vous l’avez déjà compris, ne va pas tarder à charger de lourds nuages gris un ciel qui s’annonçait d’un bleu si joli.

1848 : le temps se gâte

Lors de la Révolution de 1848 qui secoue aussi Saint-Prix, Claude Montcharmont se révèle un ardent partisan de la république. En juillet, il se présente comme candidat aux élections municipales. Lors du second tour, il est élu sur la liste qui est opposée à celle du maire, sortant et… conservateur. Dans un climat électoral tendu, les deux listes arrivent finalement à égalité. Aucun maire ne peut donc être élu. Naturellement les deux camps s’opposent, s’affrontent dans un Clochemerle rural épique plus vrai que nature comme nos belles et vertes campagnes en ont délicieusement conservé le secret : les haines s’exacerbent, les esprits s’échauffent, les anciennes querelles de famille qui s’étaient assoupies s’embrasent.
1849 marque un tournant à Saint-Prix : de nouvelles élections se déroulent. Elles voient la victoire de l’ancien maire et la défaite de Montcharmont. Sonne alors l’heure funeste des règlements de compte. Sur fonds de basses mesquineries municipales et administratives à la Courteline des champs, le vindicatif maire prend sur son bonnet de refuser de délivrer un permis de chasse à Claude Montcharmont. L’édile — qui visiblement ne donne pas dans la dentelle — va jusqu’à exciter le zèle du garde champêtre contre l’amoureux de la chasse, devenu braconnier par la force des choses. Gauthey, puisqu’ainsi se nomme le garde champêtre, traque désormais Montcharmont. De l’aube au crépuscule, derrière les buissons et les fourrés, par tous les moyens possibles, il cherche à le prendre en défaut, y parvient, et l’accable de procès-verbaux plus ou moins mérités. À chaque récidive, le tribunal d’Autun prononce des peines de plus en plus lourdes à l’encontre de Montcharmont. Pour rien au monde, le Morvandiau ne saurait se passer de sa passion cynégétique. L’appel des bois et des forêts est le plus fort. Entre les autorités et le hors-la-loi, le bras de fer est engagé. Le maréchal-ferrant délaisse peu à peu son échoppe. Ses parents, ses amis, ses partisans, toutes celles et tous ceux qui savent qu’un bon braconnier n’est jamais un viandard et que Montcharmont est du noble côté de la braconne s’alarment.

1850 : encore un chien tué

Les coïncidences sont étranges. Dans les affaires criminelles, on note souvent que des phénomènes identiques, parfois d’apparence banale, qui se reproduisent, génèrent les mêmes effets, et qui seront terribles. Dans le drame du château d’Arcy, en 1849, le jeune Cavalere avait sombré dans la folie après que les domestiques avaient tué son chien, auquel il tenait comme à la prunelle de ses yeux. Montcharmont, lui aussi, éprouve une peine immense quand sa chienne de chasse est tuée, au cours de l’été 1850. Il réagit par la violence et sa folie, pour emprunter d’autres cheminements, n’en est pas moins aussi redoutable. Il commence par menacer et insulter le garde champêtre qu’il rend responsable de la mort de sa chienne. Gauthey enregistre soigneusement menaces et insultes ; le résultat ne se fait pas attendre. Le 26 septembre, le maréchal-ferrant est condamné à six mois de prison. Il se sent incapable de vivre enfermé, loin des mousses, des sources, du sifflement de la bise et des bêtes sauvages dont il a fait sa compagnie depuis son enfance. Il court se réfugier au fond des bois. Dès lors le pire est à venir.
http://www.bienpublic.com/faits-divers/2011/12/11/le-braconnier-du-morvan

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