vendredi 17 février 2012

Épilogue du double meurtre à Dijon

Alfred Jadot – qui a été le répétiteur d’Eugène J. – a eu sur le jeune homme une mauvaise influence à bien des égards. Aussi les parents du jeune homme lui ont-ils fermement consigné leur porte. Mais dans la soirée du 27 janvier 1907, Alfred est parvenu à s’introduire dans le luxueux appartement des J. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il est animé de fort mauvaises intentions : ayant sorti un pistolet de la poche de son manteau, il a tiré à deux reprises sur Eugène. Paul, le père d’Alfred, présent dans la pièce, ayant cherché à s’interposer, a été grièvement blessé à son tour.

Des cris dans la nuit

Alertées par les coups de revolver, Mme J. et sa fille Aline, présentes au domicile familial au moment des faits, ne tardent pas à se précipiter dans la pièce où s’est déroulé le drame. Etreintes par une légitime émotion, secondées par les domestiques qui ont, eux aussi, entendu le bruit des détonations ainsi que leurs cris, elles s’empressent d’organiser les secours. Mais, malheureusement, tous leurs louables et véloces efforts restent vains. Paul J., le père, décède le soir même, soit le 27 janvier 1907, vers 23 heures, à l’hôpital où il a été admis. Son fils Eugène meurt dans la nuit du lendemain, des suites de ses blessures. Une famille dijonnaise heureuse, ayant pignon sur rue, fort estimée depuis plusieurs générations, est décimée. L’enquête commence.
Qui est en réalité Alfred Jadot ? Quelles sont les raisons qui l’ont conduit à venir assassiner Eugène J. jusque dans son domicile dont les fenêtres ouvrent sur le paisible parc Darcy ? Quels sont les motifs qui l’ont conduit à supprimer également Paul qui tentait de porter secours à Eugène ? Fils unique, choyé par des parents sans histoire, honnêtes et aimants, Alfred connaît une enfance sans problèmes apparents. Il devient, au fil des ans, un élève puis un étudiant médiocre. À l’instar de bien d’autres, il cherche sa voie sans parvenir véritablement à la trouver. Secrétaire d’un petit journal parisien en 1903, épris de poésie, sensible, nerveux, instable, il peine à « trouver un état » comme on disait à l’époque et cherche vainement à trouver sa place dans la société. Ses parents, personnes dans le rang et sensées, emplies de bonne volonté, et un brin modernes pour l’époque, songent alors que les expériences à l’étranger seront formatrices pour les jeunes gens – surtout quand ils sont écervelés –. Ils l’expédient donc à Saïgon pour qu’il travaille à l’Omnium. L’expérience ne sera pas concluante.

Une histoire d’amour qui a mal tourné

Un passage en qualité de chroniqueur à L’opinion ne l’est pas davantage, pas plus qu’une courte expérience à La compagnie des Messageries fluviales. Un emploi de comptable à bord d’un bateau embarquant des migrants pour Terre-Neuve se révèle également un fiasco. Cela dit, tous les jeunes gens qui peinent à s’investir dans une profession aux couleurs azurées d’une vocation ne se muent pas pour autant en double assassin et c’est bien heureux… d’une part pour le bonheur des familles en particulier… d’autre part… pour l’équilibre démographique de la planète, en général.
En réalité, si Alfred Jadot a tiré sur Eugène J. pour l’envoyer ad patres, c’est dans le contexte d’une histoire d’amour qui a mal tourné. Quand on quitte le rose registre des rêves d’enfance, les histoires d’amour finissent souvent mal… bien des grandes personnes, hélas, le savent… Jadot, répétiteur d’un élève indolent auquel il a fini par faire réussir des études correctes est tombé amoureux de son élève qui a, comme lui, le goût des fêtes, du luxe, et des paradis artificiels. Or, Paul, le père, entend faire entrer son fils dans le droit chemin. Il remet les pendules à l’heure et fait preuve d’autorité. Exit cet aîné un brin débauché. Eugène n’est guère contrariant. D’autant qu’il est déjà las de Jadot dont les sautes d’humeur sont assez pénibles à supporter.
Eugène accueille donc avec un certain soulagement, peut-être même avec un certain bonheur, la perspective de se séparer de son ami Alfred : il se rendra à Paris sous un prétexte bien choisi : s’initier aux travaux de l’imprimerie dans une famille amie ; le tour sera joué : la rupture sera consommée avec élégance. Mais fou de jalousie, ivre à l’idée de perdre celui qu’il aimait peut-être sincèrement, Jadot décide de le tuer et de mettre ensuite fin à ses jours.
L’intervention de Paul qui l’en empêche en décide autrement. Alfred ne peut se suicider. Emprisonné, jugé, pour le meurtre de Paul et Eugène J. il est condamné le 11 août 1907 à la peine de mort.
Cependant, quelques mois plus tard, Armand Fallières, président de la République en exercice, farouche adversaire de la peine de mort, et qui a pour habitude d’accorder la grâce présidentielle, signe celle d’Alfred Jadot. Il voit alors sa peine commuée en réclusion à perpétuité.

Albine novarino-Pothier

Anthologiste et écrivain, Albine Novarino-Pothier a publié Les Grandes affaires criminelles de Saône-et-Loire et Les Grandes affaires criminelles du Rhône aux éditions de Borée.
http://www.bienpublic.com/faits-divers/2012/02/12/epilogue-du-double-meurtre-a-dijon

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