jeudi 1 mars 2012

Le satyre de Marigny aux assises

Le 28 mai 1930, Jeanne-Marie Bolusset referme la porte de sa maison, à Marigny. Elle profite d’une belle journée printanière pour se rendre seule, à pied, dans une ferme proche du domicile familial. La douceur des jours ordinaires, quand ils baignent dans l’harmonie et que le printemps naissant se met lui aussi de la partie, réserve en général d’heureuses surprises. Sauf quand le destin en a décidé autrement.

Émotion dans le canton

Jeanne-Marie est une femme de trente ans, enceinte de son troisième enfant, appréciée de toutes celles et de tous ceux qui la connaissent. En revanche, son meurtrier, René-Henri Mercure, jouit d’une réputation exécrable. Enfant naturel, né à Soissons en 1912, il a été commis agricole chez plusieurs paysans de la région. Aucun d’entre eux ne l’a gardé longtemps à son service. Tous, de manière unanime, le jugent « amoral et vicieux ». Et c’est principalement à cause de ces défauts qu’ils l’ont renvoyé. Le procès de l’assassin de Jeanne-Marie Bolusset, qui se déroule le 30 octobre 1930, va-t-il éclairer la personnalité – pour le moins trouble – du jeune criminel et fournir des éléments permettant de comprendre son geste ?

Le procès de Mercure

Il a lieu le 30 octobre 1930. Le défenseur de l’accusé est maître Roger Combas, du barreau de Chalon, un homme habile, au talent reconnu mais dont la tache n’est pas facile. Mercure bénéficie d’emblée des circonstances atténuantes ; « Né de père inconnu et de mère trop connue », pour employer une formule qui en l’occurrence n’est pas vraiment drôle, il a certainement souffert des lourds écarts de conduite de sa mère comme du défilé de ses successifs “beaux-pères” au domicile maternel. Rejeté ensuite par ses différents employeurs, isolé chronique, il ne trouve jamais sa place dans la société et vit dans un désarroi total. Cet extrait de son procès : D signifiant “demande”, soit les questions posées par le président du tribunal, R signifiant “réponse”, soit les réponses fournies par Mercure, ne peut manquer de nous interpeller :
D : « Vous aviez depuis longtemps formé le projet de tuer Mme Bolusset qui résistait à vos avances ? »
R : « Oui, monsieur. »
D : « Après plusieurs tentatives, dont l’une a échoué grâce à la présence de M. Bonnardel qui a accompagné, un jour, votre future victime qui revenait de faire des emplettes, vous décidez, le 28 mai, dans la soirée, d’arriver à vos fins. Ce jour-là, on vous revoit avec une pioche qu’on retrouve à 35 mètres du lieu du crime, pioche dont vous aviez probablement l’intention de vous servir pour enterrer le cadavre ? »
R : « Oui, monsieur. »
D : « A 5 heures du soir, après vous être muni d’un vouge, vous vous cachez dans un taillis à proximité duquel doit passer Mme Bolusset qui revient de chercher son pain à la ferme Savonis. »
R : « Oui, monsieur. »
D : « En vous voyant vous approcher, elle vous dit qu’elle vient de chercher du pain pour faire quatre-heures, mais sans autres explications, vous lui faites des propositions malhonnêtes qu’elle repousse avec indignation, vous traitant assez vertement. »
R : « Oui, monsieur. »
Cet étrange échange entre le président et son sibyllin prévenu se terminera par un tableau final qui impressionne certainement les jurés : « Après avoir placé les deux miches de pain, dont Mme Bolusset était porteuse, et ses sabots près de son cadavre, vous avez recouvert de terre une flaque de sang se trouvant sur le théâtre du crime, puis vous avez caché votre vouge et vous êtes parti, laissant sur les lieux du crime votre casquette, preuve éclatante de votre culpabilité. Après votre crime, vous vous rendez d’abord chez M. Bonin puis chez M. Duplessis à qui vous dites : « Je viens de faire une bêtise, j’ai tué une femme avec mon vouge. C’est alors que M. Duplessis a téléphoné aux gendarmes, qui vous arrêtèrent à 8 heures du soir. »

Que penser ?

Les « oui, monsieur » que Mercure répète d’une faible et mécanique voix sont bien difficiles à interpréter. Le jeune homme, qui vient d’avoir dix-huit ans, répond-il de la sorte sur les conseils de son sagace avocat ? Est-il intimidé par la cour et incapable de s’exprimer davantage ? Est-il indifférent au meurtre qu’il a commis et aux souffrances qu’il a générées parce qu’il est foncièrement barbare et dénué de tout sentiment ? Dans quel état se trouvait-il réellement au moment des faits quand il s’est acharné sur sa victime ? Il avait avalé quelques verres de vin blanc chez Jean-Louis Decerle, cafetier à Marigny, pour se donner du cœur au ventre et réaliser un projet auquel il songeait visiblement depuis des nuits et des jours. À la dernière question du président : « Regrettez-vous le crime abominable que vous avez commis ? » le satyre charolais, dont le patronyme est celui du fils de Jupiter, le messager des dieux, répond : « Oui, Monsieur le président, et puisque j’ai donné la mort à une honnête femme, je mérite ce que j’ai donné ! »
Est-il sincère ? Toujours est-il qu’il échappe à la mort et qu’il est condamné aux travaux forcés à perpétuité.

Albine novarino-Pothier

Anthologiste et écrivain, Albine Novarino-Pothier a publié Les Grandes affaires criminelles de Saône-et-Loire et Les Grandes affaires criminelles du Rhône aux éditions de Borée.
http://www.bienpublic.com/faits-divers/2012/02/26/le-satyre-de-marigny-aux-assises

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