vendredi 13 avril 2012

Chauville de sortie à Chalon

E ntre les deux guerres, Jean Chauville exerce la profession de berger. Juste avant la mésaventure qui a bien failli l’envoyer ad patres, Jean le berger, a gardé les troupeaux d’un boucher chalonnais. Il vient de toucher son salaire, la rémunération de son travail pour plusieurs mois, ce qui constitue une somme relativement coquette.
Afin d’oublier la solitude des prés et des prairies, des bois et des bocages, la vision toujours recommencée des ruisselets pittoresques serpentant dans la campagne, vision jolie mais au final un peu lassante, notre berger a décidé de s’offrir un peu de bon temps à la ville. Il a choisi la compagnie des belles de nuit d’une maison close de la place Mathias, à Chalon.

Une soirée de rêve…

C’est une dénommée Louise Félix (on se souvient naturellement que l’adjectif “ felix” en latin signifie “heureux”), pensionnaire dudit établissement, qui reçoit Jean Chauville, le 22 janvier, à 8 heures et demie du soir, selon les termes en usage à l’époque.
Tandis que le berger conte fleurette à la demoiselle en carte, quatre malfrats locaux avec lesquels il a lié connaissance aux portes de l’établissement tuent consciencieusement le temps en s’arsouillant copieusement.
En réalité, ils sont en planque. Ils ont noté plusieurs détails qui les ont vivement intéressés : le père Chauville est un pigeon idéal ; il porte sur lui toutes ses économies ; il ne devrait pas être difficile de le dévaliser et de prendre ensuite la poudre d’escampette. Quand le berger quitte Louise Félix — à qui il a peut-être parlé de l’étoile du berger, comme dans le joli conte d’Alphonse Daudet : Les étoiles, récit d’un berger provençal dans Les Lettres de mon moulin, il est attendu.

Qui commence à déraper…

Le quatuor de trentenaires, guette le rustique berger beaucoup trop confiant en ses nouveaux amis et trop heureux de savourer un moment de ce qu’il croit être de la convivialité. On boit donc de conserve. Beaucoup. Beaucoup trop. Naturellement, c’est Jean qui paye : honneur aux anciens ! À chaque tournée, sans méfiance aucune, et peut-être même avec un brin d’orgueil, il exhibe ses liasses de billets. Deux heures du matin. C’est bien connu, tout a une fin : même les bonnes choses. La maison close ferme ses portes et met dehors ses derniers clients.
Le berger et ses amis sont donc jetés sur le pavé. A peine le groupe a-t-il fait quelques pas que l’un des malfrats menace Chauville et lui balance une formule dépourvue d’équivoque : « Si tu cries, je te tue ». Les trois autres s’activent aussitôt (il faut dire qu’ils s’étaient donné le mot et que pour ce genre d’organisation, ils sont efficaces). Ils le brutalisent et le dévalisent. Après avoir empoché l’argent de leur victime, les agresseurs : Sarrazin, Lagrue, Metzger et Jacquemin ne cherchent pas à jouer la carte de la discrétion, comme le leur recommanderait le plus élémentaire bon sens.

Et que la fête continue…

Plutôt que de rentrer paisiblement chez eux comme dans un trou de souris et de s’y faire oublier, ils pénètrent en trombe dans l’un des rares établissements encore ouvert de la ville. Ils s’y font servir ce qu’il y a de mieux, ne lésinant sur rien, attirant fatalement l’attention sur leur petite mais bruyante assemblée. De fait, quelques heures plus tard, dès que l’agression du pitoyable, ensanglanté et contusionné père Chauville est connue, c’est à cette bande de joyeux drilles éméchés et n’ayant pas regardé à la dépense que la police chalonnaise va aussitôt penser.
C’est sur Sarrazin, Lagrue, Metzger, Jacquemin, un quarteron de malfrats en goguette, qu’elle portera derechef ses soupçons. Force est bien d’avouer que la police, toujours pleine de malice, n’avait pas eu à faire preuve d’une imagination débordante de fertilité pour établir rapidement un lien solide entre l’agression du berger Jean Chauville, au sortir de la maison close de la place Mathias, et la bande de malfrats chalonnais promptement alpagués par ses soins. Tous quatre étaient comme on dit de nos jours « bien connus des services de police ».
Mais le plus étonnant dans cette affaire malheureuse du berger dépouillé par des mauvais garçons, c’est sa suite. Il va y avoir le procès des quatre apaches. Depuis 1902, on avait pris pour habitude de désigner sous le terme “d’apaches” les voyous des villes, les malfaiteurs prêts à tous les coups.
On les comparait ainsi aux Apaches, les Indiens du sud des Etats-Unis, réputés pour leur courage mais surtout leur ruse et leur férocité. Et le procès des quatre apaches de Chalon va se révéler pittoresque, ubuesque, dantesque…

Albine novarino-pothier

Anthologiste et écrivain, Albine Novarino-Pothier a publié Les Grandes affaires criminelles de Saône-et-Loire et Les Grandes affaires criminelles du Rhône aux éditions de Borée
http://www.bienpublic.com/faits-divers/2012/04/08/chauville-de-sortie-a-chalon

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire