samedi 16 novembre 2013

Procès Moitoiret: le «discernement», notion impressionniste qui divise les experts

Attendus mardi et mercredi devant la cour d’assises du Rhône, neuf des dix experts psychiatres qui ont examiné Stéphane Moitoiret et Noëlla Hégo, son ancienne compagne, s’expliqueront sur leurs conclusions divergentes.
Pendant l’instruction, quatre experts avaient conclu à «l’abolition du discernement» de Moitoiret, donc à l’irresponsabilité pénale, tandis que six retenaient une «altération», synonyme de renvoi devant les assises. Pour Noëlla Hégo, l’altération faisait l’unanimité.  «Le problème c’est l’écart abyssal, en termes de conséquences, entre abolition et altération: ça part dans des directions opposées», souligne Gérard Rossinelli, président de l’Association nationale des psychiatres hospitaliers experts judiciaires (ANPHEJ).
L’enjeu, pour la défense, est d’autant plus crucial qu’experts et magistrats constatent souvent «des peines alourdies» aux assises en cas d’altération. «C’est moins vrai en correctionnelle, mais la folie fait très peur aux jurés», avance Gérard Rossinelli. Cette règle tacite du «demi fou, double peine», résumée par l’expert lyonnais Pierre Lamothe, éclaire plusieurs verdicts prononcés au-delà des réquisitions du parquet, après un débat sur la lucidité de l’accusé.

«Noyau dur» de la folie

C’est le cas de Stéphane Moitoiret, condamné à la perpétuité devant les assises de l’Ain, fin 2011, mais aussi, en juin dernier, du jeune Mathieu M., 19 ans, condamné à la même peine pour le viol et l’assassinat d’Agnès Marin, 13 ans, en Haute-Loire.
Or, selon le Code pénal, les experts ne se prononcent pas sur une série de critères explicites. Ils raisonnent sur l’état mental de l’accusé au moment des faits: était-il lucide ? S’il ne l’était pas, sa folie est-elle seule responsable de son geste? «C’est une notion qui n’appartient pas au registre strictement médical. Elle est aussi philosophique et renvoie à l’éthique de chaque expert. Certains ne reconnaissent jamais d’irresponsabilité», observe Gérard Rossinelli.
Le «noyau dur» de l’abolition concerne notamment «les hallucinations impératives, la bouffée délirante aigüe, l’épilepsie ou la paranoïa délirante», énumérait en 2007 l’expert-psychiatre Daniel Zagury, entendu par la Haute Autorité de Santé.
Mais cette liste laisse nombre de questions ouvertes: une schizophrénie grave prive-t-elle de toute lucidité ? pourquoi un «déni de grossesse» justifie-t-il un acquittement dans certains cas - à Chalon-sur-Saône pour infanticide, en septembre dernier - et pas dans d’autres ?
Quand il y a débat, relevait Daniel Zagury, les psychiatres s’accordent souvent sur le diagnostic mais divergent sur son «interprétation médico-légale», c’est-à-dire sur le lien entre la pathologie et le crime commis.

Le «broyeur» des assises

Le dossier Moitoiret l’illustre parfaitement: aucun expert ne soutient que le marginal de 44 ans, globalement décrit comme psychotique, est sain d’esprit. Mais l’analyse de son crime oppose deux camps.
Pour les partisans de l’altération, le fait d’avoir cherché à fuir la justice, cachant couteau et vêtements, signe «un certain rapport à la réalité». Ses dénégations constantes depuis cinq ans n’arrangent rien. Mais côté «abolitionnistes», on lit la folie dans la «violence paroxystique» et l’absurdité même du meurtre, de 44 coups de couteau, d’un enfant inconnu croisé dans la rue.
L’évolution de l’accusé à l’audience soulève de nouvelles questions: mutique lors du premier procès, il se montre volubile en appel, voire éloquent, visiblement furieux de n’être pas suivi dans son délire. «Le risque pour un expert, dans le broyeur des assises, est de vouloir convaincre à tout prix, par crainte de décevoir l’auditoire», avertit Gérard Rossinelli.
Même mitraillé de questions, ajoute-t-il, «on devrait savoir dire: J’ai plusieurs hypothèses et je ne peux pas trancher», laissant cette ultime responsabilité aux jurés.

http://www.leprogres.fr/ain/2013/11/16/proces-moitoiret-le-discernement-notion-impressionniste-qui-divise-les-experts

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