lundi 16 juin 2014

Les "mauvais choix" du "tueur aux mocassins"

Les parois du box des accusés ne permettent pas d’apercevoir ses chaussures. Mais l’homme qui se présente sur le banc est loin de l’image qu’on pourrait avoir à la seule évocation de son surnom, le "tueur aux mocassins". T-shirt blanc de marque, blouson court noir et jean brut, Kodjo Ben Hodor, le visage rond, l’air parfois absent, semble -aux premiers jours de son procès devant la cour d’assises de Seine-Saint-Denis- plus commun que fascinant.

D'ailleurs ses surnoms "le tueur aux mocassins", "Costard" ou "Cravate" désignent finalement plusieurs facettes du personnage. Le premier lui a été attribué par médias et enquêteurs à cause de sa tenue lors de son arrestation en 2011. Le second lui colle à la peau depuis petit, quand, en dépit des moqueries,  il allait à la messe le dimanche en costume avec son père. Le dernier est plus sordide. Selon un témoin, il se ferait appeler ainsi car il serait un spécialiste dans les règlements de dettes, un homme qui "cravate" les gens.

Kodjo Ben Hodor, qui a aujourd’hui 34 ans, est d’origine togolaise. Ses parents - un manutentionnaire et une femme de ménage tous deux retraités - l’ont élevé dans la cité des Francs-Moisins à Saint-Denis. A la maison, on ne fête que les anniversaires des enfants, les parents connaissant seulement l’année  de leur naissance. Kodjo Ben est l’avant-dernier d’une fratrie de cinq enfants, trois garçons, deux filles dont la plus jeune va bientôt avoir 25 ans. Il n’a plus de contact avec eux. "C’est moi qui ne veux voir personne. Je préfère", marmonne-t-il. Plus tard, il expliquera qu’il a toutefois des nouvelles de ses proches par l’intermédiaire de Parfait, l’aîné, qui vient régulièrement le voir au parloir.

Première incarcération à 16 ans

De son enfance, il garde de très bons souvenirs. Il dit n’avoir pas trop souffert de l’ambiance de la cité dyonisienne. "Tout allait bien dans la famille", balaye-t-il d’une petite voix, debout, les bras croisés dans le dos. Il admet "quelques mauvais choix" mais refuse d’être considéré comme "un grand bandit". A 16 ans, une incarcération -un mois et demi à Fleury Mérogis- marque un tournant dans sa vie. "Après cet accident, j’ai eu des problèmes de scolarité", analyse-t-il face aux jurés – quatre hommes, cinq femmes qui décideront en partie de son sort. Cette année-là, il est accusé d’avoir participé à une bagarre. Il sera innocenté mais la mésaventure a laissé des traces. Outre ce premier passage par la case prison, il est "interdit de 93", est obligé de changer d’établissement scolaire et est éloigné des siens. On refuse ensuite de lui faire tripler sa seconde. Une décision qui lui laissera de la "rancœur". Il est alors orienté vers un BEP comptabilité mais ne se présente pas à l'examen final et met un terme à sa scolarité en 1998.

De Roland-Garros à McDonald's

Après deux ans sans occupation, domicilié chez ses parents, il enchaîne les petits boulots. Comme agent d’entretien d’abord, puis un job à Roland-Garros, un autre aux côtés de son frère intermittent du spectacle... Il restera tout de même près de deux ans et demi comme employé dans un McDonald's à Paris. Un travail qui ne lui plaisait pas mais qu’il honorait par "nécéssité".

Son contrat prend fin en 2006. C’est aussi à partir de cette année-là que son parcours judiciaire se noircit. Il écope de 5 mois de prison avec sursis pour escroquerie et tentative d’escroquerie, trois ans plus tôt, avec des Yescard, des cartes de paiement qui autorisent le transfert quelque soit le code composé. "L’appât du gain", commente-t-il succinctement. Retour en prison le temps de la détention provisoire. Après cela, il assure s’être "calmé". En 2008, il sera condamné à 8 mois de prison avec sursis pour escroquerie en bande organisée, une histoire de faux chèques qui date de 2002-2003. Enfin, en octobre 2012, il écopera de deux ans de prison pour l’agression d’un homme qu’il accusait "d’avoir violé plusieurs copines de ses nièces de 8 ans".

Il nie être lié à des trafics de stupéfiants

En détention provisoire à la maison d'arrêt de Villepinte, il est aujourd’hui jugé pour le meurtre de Moussa Bathily en 2009 à Saint-Ouen, lors d’une fusillade qui a fait un autre mort, Kader Serhani. Puis, il est accusé de l'assassinat d'un cousin de Moussa, Sekou Timera, en 2011, à Pantin, après deux ans passés en cavale. Pour le premier, il plaide la légitime défense, pour le second, il dit avoir pris les devants par peur d’être tué à son tour. Des trafics de drogue pourraient bien être le terreau de ces drames. Mais Kodjo Ben Hodor insiste : il n'a jamais été lié à des affaires relatives à des stupéfiants. Son avocat, maître Joseph Cohen-Sabban, ténor du barreau, abonde également en ce sens.

En détention provisoire depuis son arrestation en juin 2011, le "tueur aux mocassins" a retrouvé
la liberté un mois fin octobre 2012 suite à une erreur de procédure -un oubli de prolonger sa détention provisoire dans les délais légaux- qui ne manquera pas d'être au coeur des débats la semaine durant. En prison, il se fait remarquer par ses "refus" de réintégrer sa cellule. Il juge sa détention "particulierement difficile" et refuse de voir ses proches. Ses neveux et nièces lui écrivent pourtant mais il ne répond pas "pour qu'ils n'insistent pas". "Pourquoi?", demande la cour. "Ils comprendront", marmonne-t-il mâchoire serrée, avant d'essuyer une larme.
S'il lui arrive parfois de sourire dans ses réponses, il laisse rarement entrevoir ses émotions. Face aux photos projetées à l'assistance du corps de Moussa Bathily, ensanglanté et allongé au sol,  il restera impassible, assis sur le banc des accusés,  les coudes appuyés sur le haut du dossier. Impassible quand plusieurs membres de la famille de la victime quittent la salle en criant de douleur à la vue de ce cliché. Impassible quand, sur le banc des parties civiles, ceux qui sont restés le fixent sans relâche malgré les larmes qui coulent. Jusqu'à vendredi, il va devoir répondre de ses actes. A 34 ans, il encourt la réclusion criminelle à perpétuité.
 

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