mercredi 23 novembre 2011

Drame au château d’Arcy : chronique de morts annoncées

Par Albine Novarino-Pothier
Cette sombre affaire débute un jour d’hiver et d’enterrement. On se croirait brusquement projeté dans la fameuse et lugubre toile de Courbet : Un enterrement à Ornans.

Obsèques

Le 11 décembre 1849, Simon Fraty, abbé de Vindecy, se rend à l’enterrement du curé Plasse, à Saint-Yan. Saint- Yan est un gros bourg, situé environ à 8 kilomètres de Paray-le-Monial. Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’abbé Fraty n’est pas seul dans l’église. Une foule de fidèles, émue et transie de froid, est venue rendre un ultime hommage à son défunt pasteur.
Il faut préciser que la contrée est plutôt pieuse. Elle s’enorgueillit d’avoir vu naître Marguerite-Marie Alacoque, en l’an de grâce 1647. La sainte a vu le jour non loin de là, à Verosvres ; la Bourguignonne, qui va œuvrer pour le sacré-cœur de Jésus, dans le monde entier, a été pensionnaire à Charolles, et c’est précisément quand elle sera au couvent des Visitandines de Paray-le-Monial qu’elle a eu plusieurs apparitions du Christ.
Au nombre des hommes qui prient pour le repos de l’âme du curé Plasse, se trouve un dénommé Jean-Baptiste Cavalere. Cet étranger au pays, un Italien, a fait de bonnes études dans un séminaire, à Chambéry. Puis il a été engagé à Nevers, comme précepteur, dans la famille Benoist d’Azy. Voilà maintenant deux ans qu’il exerce ses fonctions au château d’Arcy, à deux kilomètres de Vindecy. Tout au long de la funèbre cérémonie, Simon Fraty ne peut s’empêcher de noter l’étrange comportement de Cavalere : le jeune Italien pousse des soupirs à fendre l’âme ; il lève les yeux au ciel ; il tourne brusquement la tête à gauche, à droite, comme s’il redoutait l’entrée d’une horde barbaresque.
Est-il en proie à quelque délire mystique ? Non. Il est tout simplement très agité ; son attitude n’est en rien digne et recueillie ; elle manque d’élégance et de retenue ; elle n’est certes pas à la hauteur de son éminente fonction, très enviable dans tout le canton. Mais qu’est-ce qui peut donc perturber à ce point le précepteur de François-Marie-Théodore Thomé de Saint-Cyr ?

Chien mort

Simon Fraty fait partie de ces hommes d’église qui pratiquent les vertus de charité et de compassion. Sitôt le cher curé Plasse mis en terre, il donne quelques poignées de main aux élus locaux. Il adresse deux ou trois paroles de consolation à des commères qui s’attardent au pied de la fosse et dont le nez est férocement rougi par la bise. Puis, vaguement conscient d’une urgence, il alpague Cavalere. Touché par la visible détresse du jeune homme, il lui propose de faire route avec lui.
Au presbytère de Vindecy, devant une bonne rasade de gnôle qui réchauffe et les corps et les esprits endoloris, Jean-Baptiste Cavalere éclate brusquement en sanglots. Son discours est confus, parfois incohérent, entrecoupé de commentaires en italien. Au cœur de cette bouillie verbale, le brave abbé Fraty perd son pauvre latin de messe. Mais subtilement éclairé par le Saint-Esprit et son ange gardien réunis, l’homme de Dieu finit tout de même par saisir l’essentiel : au château, avec cruauté, les autres domestiques se seraient tous ligués contre le précepteur. Ils auraient adopté une attitude de plus en plus désagréable à son égard. Bref, ils l’auraient mis en quarantaine. Cavalere prétend même que tous les Brionnais du coin le prennent pour un rouge, un révolutionnaire, un anarchiste de la pire espèce. Les relations entre l’Italien et les Brionnais se sont tellement dégradées… que ces derniers temps, ils seraient même passés aux actes : et ils auraient empoisonné le seul être qui compte le plus au monde pour lui : son chien ; lequel chien est mort au terme de souffrances atroces.
Mais Simon Fraty comprend aussi que Cavalere est très perturbé. Le jeune homme se sent persécuté par la cuisinière, les basse-couriers, le cocher, les jardiniers, les femmes de chambre, les servantes, les valets de pied, l’intendant…
Bref, le monde entier lui en veut. Naturellement, le châtelain et la châtelaine, ses maîtres, ne sont pas en reste. Eux aussi, ils s’acharnent contre lui. Simon Fraty ne parvient pas à démêler le vrai du faux. Cette histoire de chien empoisonné par la malveillance des domestiques lui semble sujette à caution, même si les plaisanteries locales ne sont pas toujours fines. Un fait est certain, Simon Fraty a pris la pleine mesure de l’état de souffrance psychique de Cavalere. Il décide donc de le faire dormir au presbytère de Vindecy. Il le reconduira au château d’Arcy le lendemain et aura un entretien avec les châtelains. « Demain il fera jour, et tu verras que tout ira bien, mon gars », déclare l’optimiste abbé au triste précepteur… En sera-t-il ainsi ?
La semaine prochaine :Drame au château d’Arcy : la bûche ensanglantée (suite et fin).
http://www.bienpublic.com/faits-divers/2011/11/20/drame-au-chateau-d-arcy-chronique-de-morts-annoncees

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