La piste d'une erreur sur la victime
Reste l'idée d'une tierce personne qui aurait voulu empoisonner quelqu'un d'autre qu'Émilie, et se serait tragiquement trompée. Lors de sa garde-à-vue, le 17 juin, Sylvie Tocqueville, qui est secrétaire de mairie[13], déclare avoir eu une relation passagère avec Jean-Marc Deperrois. Cet adjoint au maire du village entretenait avec elle une relation amoureuse, et J.-M. Tocqueville témoigne que M. Deperrois lui aurait dit qu'il souhaitait que Sylvie le quitte
L'hypothèse d'une erreur sur la victime fait son chemin, et Jean-Marc Deperrois est placé en garde-à-vue le 26 juillet 1994[15]. Jean-Marc Deperrois a créé quelques années plus tôt sa propre entreprise, ITI (Imagerie Thermique Industrielle). Les enquêteurs lui demandent avec insistance s'il utilise du cyanure dans le cadre de son travail : il certifie formellement qu'il n'en utilise pas. Pourtant, Alain Bodson, une de ses relations professionnelles, confirme aux enquêteurs avoir récemment acheté à sa demande 1 kg de cyanure, que M. Deperrois est venu chercher à son entreprise à Nanterre.
Jean-Marc Deperrois devient le suspect numéro un. Par des écoutes téléphoniques, les enquêteurs savent déjà qu'il a menti et qu'il possédait bien ce produit dans son entreprise, mais qu'il l'a ensuite jeté. J.-M. Deperrois finit par admettre qu'il avait bien commandé du cyanure de sodium, en passant par M. Bodson, pour faire des essais de traitement de surface sur des pièces métalliques. Il dit avoir gardé ce produit « jusqu'au 16 ou 17 juin » et l'avoir jeté après avoir appris que l'enfant était morte d'avoir avalé du cyanure. Il aurait menti parce que le drame s'étant produit tout près des locaux de son entreprise, « la détention de cyanure était susceptible de [lui] créer des ennuis ». Il ne voulait pas « être inquiété », ni qu'on ne parle de sa relation avec Sylvie Tocqueville
Le débat autour des expertises sur le cyanure Des analyses chimiques ont alors été effectuées pour déterminer si le produit que J.-M. Deperrois s'était procuré chez Prolabo avait la même composition que celui retrouvé dans le médicament.
Les impuretés [
Le cyanure de sodium commercialisé n'est jamais parfaitement pur, il s'y trouve des impuretés en proportions variables. J.-M. Deperrois ayant jeté son cyanure, les experts de l'IRCGN ont dû travailler sur les lots que l'entreprise Prolabo commercialisait à l'époque. Les analyses chimiques diligentées par le juge d'instruction ont montré que deux lots de cyanure Prolabo présentaient trois impuretés à des taux de concentration « comparables » à celles trouvées dans le flacon empoisonné. Le jugement condamnant M. Deperrois admettra finalement que ces impuretés constituent « une signature du produit », et que le cyanure du flacon empoisonné a donc la même composition que le sien[18]. En 2001, la défense demandera son avis sur ces expertises à un autre spécialiste, le Pr Rosset, qui fera remarquer que les experts avaient décelé plusieurs autres impuretés, dans le flacon empoisonné, à des taux très supérieurs à ceux que l'on trouve dans des produits neufs comme les cyanures Prolabo. L'une de ces impuretés, l'oxalate, montrait que le cyanure mortel était un vieux produit fortement oxydé. Il s'étonnera de ce que, sans explication, les experts aient écarté ces éléments de leur « synthèse finale »
L'étrange coagulation : un cyanure dégradé ? [
En mélangeant cyanure + Josacine, l'expert de l'IRCGN n'a jamais réussi à reproduire la coagulation jaune clair trouvée dans le flacon empoisonné, et n'a jamais pu l'expliquer. En outre, il a constaté que le mélange obtenu a tendance à foncer au bout de quarante-huit heures ; or, le flacon empoisonné n'a jamais changé de couleur. L'expert a conclu que cette absence de coloration pouvait s'expliquer par la présence « d'un cyanure très dégradé » dans le flacon de Josacine, ce qui caractérise un cyanure ancien. Comme J.-M. Deperrois venait d'acheter un cyanure neuf, on a supposé qu'il avait pu le vieillir artificiellement par chauffage à 37 °C jour et nuit pendant un mois et, par la suite, constatant que cette opération n'empêche pas le mélange de brunir, par chauffage à 50 °C pendant 13 jours[20]. J.-M. Deperrois ne possédant pas d'étuve[21] dans son entreprise, on a suggéré qu'il avait pu laisser le flacon dans la boîte à gants de sa voiture qui aurait fait en quelque sorte office d'étuve. La défense fit valoir qu'il faisait entre 11 °C la nuit et 17 °C le jour en moyenne en ce mois de juin dans la région. Le Pr Rosset, dans son rapport de 2001, rejettera cette hypothèse, estimant que les fortes teneurs en impuretés « calcium, magnésium et cuivre » du cyanure mortel excluent qu'il ait été obtenu en chauffant un cyanure neuf qui en est dépourvu[].
L'hypothèse du cyanure neuf dégradé volontairement par chauffage sera pourtant admise par l'accusation, et retenue dès lors dans le protocole des analyses chimiques qui seront faites par la suite sur les effets du mélange Josacine + cyanure. Il ne semble pas qu'aucune expérience ait jamais été tentée avec du cyanure authentiquement ancien.
Le procès et ses conséquences []
Le débat sur la thèse de l'accusation []
D'après l'accusation, le mobile de J.-M. Deperrois aurait été le souhait de se débarrasser du mari de sa maîtresse, ses relations à lui avec sa femme s'étant dégradées[], et le couple Tocqueville n'ayant pas l'intention de se séparer[31].
L'examen de l'emploi du temps de J.-M. Deperrois le 11 juin a montré qu'il était seul, dans son bureau à la mairie, tout près du domicile des Tocqueville, entre 16h40 et 17h. Il aurait donc pu se glisser chez eux à ce moment-là[].
Jean-Michel Tocqueville ayant eu, le 10 juin au soir, un violent malaise nécessitant d'appeler un médecin de garde, l'accusation suppose que J.-M. Deperrois l'aurait su et en aurait déduit que la Josacine trouvée dans la maison lui avait été prescrite[].
La défense plaide qu'il paraît invraisemblable que J.-M. Deperrois ait pu supposer que ce médicament Josacine à usage pédiatrique était destiné à un adulte, et qu'il ait pu prendre le risque de tuer l'un des deux enfants de la maison, âgés de 8 ans et 5 ans. La défense fait aussi remarquer que J.-M. Tocqueville prenait depuis plusieurs jours un antibiotique d'une autre marque, en gélules, et que son malaise de la veille était une crise de tachycardie, pour lequel un anxiolytique avait été prescrit, ces éléments ne pouvant guère laisser supposer que la Josacine lui appartenait[].
J.-M. Deperrois affirme par ailleurs que sa relation avec Sylvie Tocqueville était « en voie d'extinction », et qu'elle en avait informé son mari, avec lequel il s'en était même expliqué[].
Les témoignages fondant la thèse de la préméditation []
Le 31 août, un couple de voisins des Tocqueville, les Madeleine, affirment avoir vu J.-M. Deperrois sortir de chez ces derniers le 29 mai, soit onze jours avant le drame. La dame aurait vu J.-M. Deperrois par réflexion sur la vitre de la fenêtre de sa salle de bains. Lors d'une visite sur place, le magistrat chargé de l'instruction s'aperçoit qu'il est impossible de voir la porte-fenêtre des Tocqueville dans le reflet de cette vitre, quelle qu'en soit la position. Il s'avère par ailleurs que le 29 mai, J.-M. Deperrois a passé la journée à vendre des tickets à la kermesse de l'école. Ces voisins affirment aussi avoir vu J.-M. Deperrois tourner autour de la voiture des Tocqueville, le 8 mai, sur le parking devant la mairie. Vérification faite, il s'avère que le parking est interdit aux voitures pour les commémorations du 8 mai 1945[36]. Les déclarations de ce couple seront finalement retenues par l'accusation, admettant qu'ils ont pu se tromper de dates, et fondent la thèse de la préméditation[
Par la suite, J.-M. Deperrois a fait citer ces voisins pour faux témoignage. Si le faux témoignage avait été reconnu, le procès d'assises aurait alors pu être considéré comme inéquitable. Un non-lieu sera prononcé en 1999, à la suite duquel M. Deperrois portera plainte une deuxième fois. Il lui sera alors demandé le versement d'une somme à titre de consignation. J.-M. Deperrois étant alors incarcéré et dans l'impossibilité de payer lui-même, l'argent sera versé par son Comité de soutien : sa plainte sera alors jugée irrecevable du fait qu'il aurait dû payer la somme lui-même. Finalement, le 14 mai 2002, la Cour de cassation reconnaîtra qu'il a été fait obstruction aux procédures engagées par M. Deperrois à l'encontre de ces voisins en exigeant de façon exorbitante qu'il verse lui-même la consignation et non pas son Comité de soutien[].
La condamnation ]
Jean-Marc Deperrois, condamné le 26 mai 1997 à vingt ans de réclusion criminelle, s'effondre dans le box et perd connaissance à l'audition du verdict. Il est ramené à moitié inconscient pour que lui soit signifiée la fin de la sentence [].
Le Code de Procédure Pénale détermine que la décision des jurés résulte exclusivement de « l'intime conviction » qu'ils se sont forgée lors des débats, précisant que « la loi ne demande pas compte aux juges des moyens par lesquels ils se sont convaincus ». Bien que le serment des jurés leur rappelle « ... que l'accusé est présumé innocent et que le doute doit lui profiter », leur conviction n'a donc pas à être motivée[41] autrement qu'en répondant aux questions qui leur sont posées [42]. Elle se fonde en ce cas précis sur un faisceau de présomptions précises, concordantes et finalement accablantes ainsi que l'énonce l'avocat général lors de ses réquisitions. Une des jurés au procès témoignera, quant à elle, en 2004, dans une émission de télévision, qu'au moment de donner son verdict sur la culpabilité de M. Deperrois, elle hésitait entre le oui et le non. Ce qui l'aurait alors déterminée à voter la culpabilité, « ...c'est qu'il faisait très très beau et d'un seul coup j'ai pensé : mais J.-M. Deperrois profite du soleil, Émilie, elle, ne profite pas du soleil »[43]. L'émotion devant le sort tragique des victimes semblerait pouvoir suppléer, dans certains cas, à l'absence d'aveu et de preuves. Enfin, pour le Capitaine Martinez, « aucun élément concret permettant d'accréditer une autre hypothèse que celle de Jean-Marc Deperrois n'a été recueilli »[].
Il est à noter qu'à l'annonce du verdict, le public a protesté vivement, certains journalistes fondant en larmes et d'autres levant le poing en direction des magistrats. Cette condamnation a suscité une vive émotion dans le pays, Corinne Tanay et Anne-Marie Deperrois recevant l'une et l'autre des messages anonymes d'insultes]. Mme Deperrois a créé un Comité de soutien à son mari[], qui a toujours cherché à faire reconnaître son innocence.
En 1997, il n'est pas possible de faire appel d'une condamnation en Cour d'assises. J.-M. Deperrois se pourvoit alors en cassation ; le rejet de son pourvoi, le 21 octobre 1998, rend sa condamnation définitive et sans appel. Après ce verdict controversé, la question du droit d'appel d'une condamnation pénale est posée à nouveau à l'Assemblée nationale, le mardi 27 octobre, par M. Raymond Forni, député socialiste du territoire de Belfort, qui interpelle la Ministre de la Justice : « La verra-t-on enfin, la réforme de la cour d'assises ? ". Ce droit sera institué par la « loi Guigou » du 15 juin 2000 « renforçant la présomption d'innocence ». Mais pour l'heure, il ne reste plus à M. Deperrois qu'à rechercher un « élément nouveau » à l'appui d'une demande de révision de sa condamnation pénale.
La procédure de révision des condamnations pénales a été réformée par la « loi Seznec » du 23 juin 1989. Les nouvelles dispositions de cette loi permettent à un condamné de demander la révision de son procès "lorsque, après une condamnation, un fait vient à se produire ou à se révéler, ou lorsque des pièces inconnues lors des débats sont représentées de nature à faire naître un doute sur la culpabilité du condamné", et non plus, comme auparavant, « de nature à établir son innocence ». J.-M. Deperrois va présenter en 2001 une première demande de révision, basée sur la critique des expertises chimiques par le Pr Rosset, et la contre-enquête d'un journaliste du journal Le Monde, Jean-Michel Dumay
3 commentaires:
Plus j'avançais dans ma lecture et plus j'étais sceptique quant à la culpabilité du prévenu.
Je voudrais me persuader de son innocence, mais dans ce cas, à qui aurait profité le crime ?
le crime ne profite,si on peut dire, qu'à une personne, M Tocqueville.
Je ne dis pas que c'est lui qui a empoisonné la fillette, mais force est de constater que l'amant de sa femme est incarcéré .
miragen
Depuis le début je suis cette affaire jean Marc deperrois est innocent on a voulu nuire à cet homme je l ai toujours soutenu et je continuerai il faut qu il obtienne la révision de son procès la justice française doit reconnaître qu elle c est trompée j espere que jean Marc lira mon commentaire je lui souhaite bien du courage pour tout mal que la justice française lui a fait honte aux jurés d assise qu il l on comdannes
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