vendredi 16 avril 2010

Une erreur judiciaire a frappé Rida Daalouche

Le soir du crime, le meurtrier dormait à l’hôpital

Pour la cinquième fois dans l’histoire de la justice française, un procès criminel est révisé pour " fait nouveau ". Avant de l’obtenir, Rida Daalouche a purgé cinq ans d’emprisonnement.

Le procès de Rida Daalouche, qui s’ouvre, aujourd’hui devant la cour d’assises de l’Hérault, à Montpellier, doit durer deux jours. Son premier procès, qui avait eu lieu à Aix-en-Provence, les 11 et 12 avril 1994, avait, aussi, duré deux jours. Deux jours pour le condamner et maintenant, deux jours, peut-être, pour l’innocenter et le réhabiliter.

La première fois, Rida Daalouche avait été condamné à quatorze ans de réclusion criminelle. On aurait pu, aussi bien, en rester là. Daalouche se serait bien lassé, un jour, d’écrire, ici et là : " Je suis innocent. " Sa famille, peut-être, se serait faite à ce malheur de plus sur le dos et, finalement, se serait dit que c’était le destin.

Seul le hasard a fait que tout bascule. Un hasard dans le désordre. Un désordre de papiers - quittances, factures, bulletins de paie - que la sour de Daalouche, Ketum, empoigne un jour d’avril 1995 et va porter à l’avocat de son frère. Ketum tient un commerce à Tunis. Elle a un peu plus réussi que ses dix autres frères et sours. En tout cas, elle sait un peu mieux lire. Et le défenseur de Rida Daalouche, l’avocat marseillais Frédérick Monneret, se souvient, bien sûr, de ce jour : " Quand j’ai vu ça, j’ai bondi. Comment une telle chose avait pu passer inaperçue ! " Il a, ensuite, cette sincérité : " Au début, je ne me sentais pas face à une erreur judiciaire ".

Car l’" affaire Daalouche ", jusque-là, ne relevait que de la banalité criminelle. Vite instruite, vite jugée…

Au début, c’est un homme - Abdelali Gasmi - qu’on retrouve, égorgé, le 29 mai 1991, vers 22 h 45, au bas de la Canebière, près du Vieux-Port. On remonte à un proche bistro, La Gerbe d’or. Oui, il y a eu une bagarre un peu plus tôt. Et il y a eu des bouteilles et des verres brisés pour en faire des armes. Et on dit qu’on s’est battu pour une fille de la marine américaine qui buvait là.

Plus de cinq mois passent. On arrête Daalouche le 11 novembre 1991. C’est un cousin de la victime qui l’a désigné. Là, il n’est plus question de marine américaine, mais d’un contentieux à propos de vente de drogue. Daalouche s’y adonne ; ça cadre. Puis, on saura que c’est un troisième individu, Kuder, qui a mis le cousin sur la piste de Daalouche. Kuder aurait dit : " Il a tué. " Plus tard, incarcéré aussi, Kuder déclarera : " J’en voulais à Daalouche. Mon frère avait fait une bêtise, il avait demandé conseil à Daalouche qui lui a conseillé de se dénoncer aux flics. Du coup, il a pris dix-sept ans. Mais je n’ai pas dit qu’il avait tué. " L’enquête n’a cure de tout cela ; elle se poursuit. Quant à ceux qui se trouvaient, ce soir-là, à La Gerbe d’or… La fille de la marine ne sait plus trop si on s’est écharpé pour elle. Un serveur reconnaît " formellement " Daalouche, puis est moins sûr. Une autre fille le reconnaît aussi et ajoute qu’il s’était même enfui avec son frère Hacène. Sauf que Hacène, à ce moment-là, était en prison, aux Baumettes. Le patron, lui, était à la cave et n’a fait, après, que laver le sang…

Et puis, surtout, Daalouche ne dit pas la vérité. " Où étiez-vous le 29 mai 1991 ? " " J’accompagnais une amie voir son ami à la prison de Perpignan. " Mais l’ami n’y fut incarcéré qu’en juillet. Les parents de Daalouche, eux : " Il a regardé, avec nous, à la télé, le match OM - Étoile Rouge de Belgrade pour la Ligue des champions. " De ça, Daalouche est sûr que non. Aujourd’hui, il explique : " J’étais bouffé par la drogue. Je n’avais plus ma tête. J’ai dit n’importe quoi. "

L’accusé est condamné le 12 avril 1994. Un an après, il y a ce que trouve Ketum, la sour. Ce qu’elle trouve : un certificat d’hospitalisation, daté de mai 1991, à l’hôpital Édouard-Toulouse de Marseille, au nom de Rida Daalouche. " J’ai aussitôt informé le procureur de la République ", ajoute l’avocat Frédérick Monneret.

La commission de révision est saisie. Qui saisit elle-même la cour de révision en octobre 1996. Laquelle décide d’un complément d’enquête. Que veut bien dire ce certificat d’hospitalisation ? S’agit-il du même Rida Daalouche ? On veut fouiller les archives de l’hôpital Édouard-Toulouse. Mais il y a eu un incendie ; elles sont détruites. Au pavillon 16, heureusement, on garde comme une sorte de journal de bord. À la date du 29 mai 1991, on lit sur ce registre : " Rida Daalouche, entrée à 18 h 15 ". Entrée, oui, mais la sortie ? On sait que Rida est venu là, volontairement, pour essayer de se libérer de la drogue. Les conditions d’hospitalisation sont précises : isolement, pas de téléphone, pas de visite, en pyjama, chambre fermée à clef à 21 h 30… Et une infirmière doigt pointé sur le registre, dit : " Ce soir-là, j’ai pris mon service à 21 heures jusqu’à 7 heures du matin. " Sur le registre, après sa ronde de nuit, elle a écrit : " Daalouche, bon sommeil. "

La cour de révision, le 18 octobre 1998, en annulant le verdict d’Aix-en-Provence, note : " Il ne peut toutefois être exclu qu’après avoir été placé au centre hospitalier spécialisé à 18 h 15 Rida Daalouche ait quitté cet établissement dans le cours de la soirée et se soit rendu au bar où les faits se sont déroulés à 22 h 15. " Mais, entre l’hôpital et le bar, il y a dix kilomètres. Comment les aurait accomplis le ci-devant soigné, et en quelle tenue, pour aller saigner Abdelali Gasmi ? Et repartir, ensuite, vers le pavillon 16 ?

Bien sûr, au cours de l’instruction, un enquêteur de personnalité avait noté que l’accusé avait été hospitalisé volontairement " durant l’été 1991 ". Si l’enquêteur avait recherché plus précisément la date, il aurait observé que ce n’était pas " durant l’été " mais " durant le printemps 1991 ". C’était, en plus, le 29 mai 1991. Le jour du meurtre.
L'Humanité



cliquez sur ce lien pour lire la vidéo








Aucun commentaire: