La vie de Dany Leprince a basculé le dimanche 4 septembre 1994. Ce soir-là, son frère Christian, sa belle-sœur Brigitte et deux de leurs enfants sont sauvagement assassinés à coups de feuille de boucher (hachoir) dans leur maison de Thorigné-sur-Dué, petit village paisible de la Sarthe. Les corps sont retrouvés le lendemain par les gendarmes qui, au premier étage, tombent également sur Solène, deux ans, seule rescapée du massacre qui attend sagement dans sa chambre. Dany Leprince habite avec sa famille à une quinzaine de mètres de la maison de son frère. Très vite, les enquêteurs, orientés par les déclarations accablantes de son épouse et de sa fille aînée, resserrent leur filet autour de l'agriculteur. Ce dernier trime pour joindre les deux bouts et doit de l'argent à son frère qui, lui, vit dans l'opulence à quelques mètres de là. Le mobile est facile, le coupable idéal.
Après 46 heures de garde à vue, épuisé, il avoue le meurtre de son frère, mais nie les trois autres crimes. Puis il se rétracte. Trop tard. Le 16 décembre 1997, il est condamné à la perpétuité, assortie de 22 ans de sûreté. Depuis, il clame son innocence. Parce qu'il se sent "nu face à la justice" qui ne veut pas l'entendre, il est nu dans sa cellule depuis le mois de mars 2007.
Trop de questions sans réponse
Un livre vient de paraître qui met en évidence les dérapages et les errements de l'enquête et de l'instruction qui ont conduit à l'enfermement de Dany Leprince. Surtout, il apporte de nouveaux éléments, de la "véracité bétonnée", insiste son auteur Roland Agret. Cet homme, lui-même victime d'une erreur judiciaire dans les années 70, est le président d'Action Justice, association qui "défend l'innocence de personnes emprisonnées". Depuis 2003, il a repris l'intégralité du dossier, l'a décortiqué dans ses moindres détails, a recueilli des témoignages inédits. Et ses révélations, comme ses interrogations, livrées à l'état brut sont troublantes.
Comment Dany Leprince a-t-il pu assassiner de la sorte, tout seul, quatre personnes, en trois minutes et six secondes ? se demande-t-il. Comment se fait-il, surtout, que dans cette "abominable tuerie" on ne retrouve pas une seule trace ADN de lui ? D'autres traces ADN, inconnues, ont été retrouvées notamment sur l'une des armes du crime mais jamais elles n'ont été comparées à d'autres personnes que le couple Leprince. Ces traces ont fait "l'objet d'un pitoyable service minimum", note Roland Agret.
Par ailleurs, des traces de pas retrouvées sur les lieux du crime montrent qu'il y avait au moins deux personnes présentes. Des traces de pas de femme pourraient correspondre aux pieds de Martine, l'épouse de Dany Leprince. Des traces de pas d'homme, faites avec des Doc Martens, ont également été relevées. Or, Dany Leprince n'a jamais porté ce type de chaussures. "Puisque l'on sait qu'il y avait au moins deux personnes, pourquoi ne lui a-t-on, à aucun moment, demandé qui étaient ses complices ?" s'interroge l'auteur, qui est convaincu que "deux, une femme et un homme, certainement trois" personnes ont perpétré ce massacre. Menant sa contre-enquête, Roland Agret a par ailleurs acquis la conviction que Martine - qui lors de l'enquête a livré plusieurs versions sur le déroulement du drame -, avait un amant au moment des faits. Pourquoi cette piste n'a-t-elle pas été explorée plus à fond par les gendarmes, s'interroge-t-il ? Par ailleurs, en 1999, soit deux ans après la condamnation de Dany Leprince, une entreprise aurait découvert enfoui dans une carrière un couteau avec l'inscription Leprince gravée dessus. "Il faut le faire parler", estime Roland Agret.
Un troublant coup de fil
Enfin, le livre révèle un témoignage surprenant, recueilli à Noël 1997, soit quelques jours après le procès. C'est celui de Laurent Rousseau. L'homme s'est confessé à une chirurgien-dentiste, pensant en fait qu'il appelait la gendarmerie. Cette dernière a tout noté et remis le témoignage à Roland Agret quand elle a appris l'existence de son association voilà deux ans. Dans ce témoignage, l'homme affirme que Dany Leprince est innocent car au moment du massacre, il était là, au grenier, en train de faire des travaux d'électricité au noir. Il dit qu'il a entendu une violente dispute entre Martine et Brigitte pour une question d'argent, puis des hurlements. Il descend, voit la petite Solène et l'emmène vite au grenier. Il entendra ensuite plusieurs voix, trois ou quatre. Il reste au grenier toute la nuit, l'escalier escamotable replié. Il ne serait reparti qu'après le passage des gendarmes, qu'il ne voulait pas voir car il avait eu des ennuis avec eux par le passé.
Problème, l"heure qu'il donne pour les crimes ne correspond pas du tout avec les faits. Depuis, l'homme s'est même rétracté. Mais pour Roland Agret, l'homme n'a pu inventer tous les détails qu'il donne. Soit il y était, soit il connaît la personne qui était là et lui a tout raconté.
La révision du procès : "une question de mois"
Les investigations de Roland Agret, aujourd'hui rassemblées dans ce livre, commencent à payer. Car, fait rarrissime, un supplément d'information a été ordonné en avril 2006 par la commission de révision des condamnations pénales. A quand un procès en révision ? "Ce n'est qu'une question de mois", assure Roland Agret en conclusion de son livre.
Enfermé depuis maintenant 13 ans dans une cellule de la centrale de Poissy, Dany Leprince reprend espoir. Le doute ne doit-il pas bénéficier à l'accusé ? Le 11 février prochain, il va même se marier avec Béatrice, une femme médecin qui était entrée en contact avec lui un an plus tôt après la diffusion d'un reportage sur son histoire. La mère de Dany Leprince, elle, n'a plus eu la patience d'attendre. Elle s'est pendue en juin dernier. Ce qui fait dire à Roland Agret, en conclusion de son livre et à l'adresse de la Justice : "Pour ton honneur même, arrête, arrête le massacre !".
http://lci.tf1.fr/france/justice/2008-01/dany-leprince-est-bon-coupable-4866509.html
*"L'affaire Leprince, condamné à tort", Roland Agret et Nicolas Poincaré, Michel Lafont, 261 pages, 18,50 euros.
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