mercredi 18 mai 2011

Le général Rondot au procès Clearstream : « Je ne suis pas un berniche ! »

Pour Dominique de Villepin, l'audience d'hier était parsemée d'embûches. Finalement, le général Rondot l'a en partie exonéré, estimant qu'il n'avait pas « comploté » contre Nicolas Sarkozy. Mais il maintient que l'ex-ministre s'est prévalu du Président Chirac pour lui demander d'enquêter sur les listings Clearstream. Et affirme que, dès juillet 2004, il savait que « toute cette affaire était fausse ».

UN BERNICHE. On connaissait la bernache et la bernicle. Voici, introduit en cour d'appel hier à Paris par le général Philippe Rondot, un condensé des deux mots, dont la définition n'a aucun rapport avec un coquillage du littoral Atlantique. On l'apprend grâce au voisin agriculteur de l'officier du Renseignement militaire, désormais retraité dans le Morvan : « Philippe, m'a-t-il dit avant mon départ, à Paris on te prend pour un berniche. C'est l'idiot du village que l'on nourrit d'un brouet et que l'on congédie à coup de pied aux fesses. Eh bien, Madame la présidente, je ne suis pas un berniche ! Je confirme tout ce que j'ai écrit ! » Enoncée avec la raideur et la précision qui caractérisent le général, sa digression par le bocage est un moyen de redire, à la cour et aux 26 avocats présents, qu'il n'a jamais menti. « Je suis un homme d'honneur », répète-t-il à l'envi, menaçant qui en doutera d'un silence définitif. Du reste, à un avocat qui le titillera à la 4e heure d'audition, il éludera par un puéril « je ne vous cause plus ! ».

Voilà de quel bois se chauffe le général Rondot sur qui, depuis sept ans, l'accusation s'appuie pour arracher condamnation des prévenus Villepin, Gergorin et Lahoud. Après chaque réunion, chaque rencontre, il écrivait scrupuleusement les faits portés à sa connaissance et ses impressions : « Je prenais des notes sur des fiches Bristol que, le soir, je reproduisais sur mon journal de marche. » Ses carnets, saisis, sont donc au cœur de l'affaire Clearstream, qu'il qualifie aujourd'hui de « misérable ».

Comme en première instance, il est demandé à l'officier les détails de la réunion du 9 janvier 2004, dite « des conspirateurs ». Au Quai d'Orsay, où M. Rondot a été « convoqué par Dominique de Villepin », locataire du lieu, l'attend aussi Jean-Louis Gergorin. Les deux hommes se sont vus maintes fois depuis octobre 2003 : le vice-président d'EADS détient alors déjà les listings Clearstream et tente d'y intéresser l'officier, qu'il a mis en relation avec Imad Lahoud. Ce 9 janvier, ses verbatim racontent ceci : « Instructions du PR (président de la République) à qui DdeV (Villepin) a rendu compte » ; « fixation sur N. Sarkozy » « compte couplé Sarkozy- Boksa » (en fait Bocsa) » « réelle construction intellectuelle qui accroche DdeV ». A la barre, le général confirme que le nom de l'actuel chef d'Etat « fut évoqué plusieurs fois par M. Gergorin mais je ne suis pas sûr que le ministre ait entendu, le bureau était grand, il était souvent au téléphone ». Philippe Rondot est formel, « cette réunion n'était pas un complot ». Du reste, il ne s'y serait pas prêté : « Dans les services (du renseignement), nous ne sommes pas une bande de voyous rompus aux coups tordus comme on en voit dans le monde politique ! » Il est tout aussi certain que Villepin s'est prévalu de M. Chirac pour lui demander de poursuivre les investigations sur les listings Clearstream. « J'évoquais la moralisation de la vie politique, la corruption internationale », argue l'ancien ministre. Auparavant, il était « d'accord, non pas à 99 %, mais à 100 % avec le général Rondot ». Lequel, courtois mais redoutable, le remet à sa place : « J'ai écrit les verbatim. Ce n'est pas un mezze libanais dans lequel on picore ce qui arrange et on laisse ce qui dérange. »

Il confirme enfin avec aplomb que, dès juillet 2004, il a avisé le Quai d'Orsay et la Défense de la manipulation : « J'ai alerté tout le monde, je leur ai dit : attention, ça ne tient pas ! J'ai mis en garde tout le monde sur les conséquences. » Il n'a pas été écouté, d'où le scandale et les mises en examen.

A 18 h 45, alors que Philippe Rondot tient bon la barre depuis six heures, les juges se penchent sur la garde à vue d'Imad Lahoud. Un mauvais pas dont l'aurait tiré l'officier, sur demande de Villepin (nos éditions du 6 mai). Si le général est sûr de ne pas être intervenu auprès des policiers en faveur de Lahoud, arrêté pour escroquerie, il est également précis en ce qui concerne le ministre des Affaires étrangères : ce dernier l'a appelé pour lui dire, à propos de Lahoud, « voyez ce que vous pouvez faire ». « J'ai dit cela comme ça, riposte le prévenu. En tant que ministre, j'avais l'habitude de dire oui, oui, bon, bon, faites au mieux… »


http://www.lunion.presse.fr/article/francemonde/le-general-rondot-au-proces-clearstream-%C2%AB-je-ne-suis-pas-un-berniche-%C2%BB

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