vendredi 24 février 2012

Le drame de Marigny (1)

S’intéresser aux faits divers graves et aux crimes parce que coule le sang de la victime et que les larmes des proches ne se tarissent point serait d’un voyeurisme sordide, frisant l’immoralité. En revanche, s’y intéresser pour tenter de comprendre ce qui s’est réellement passé, et afin de pouvoir prévenir les dysfonctionnements est une noble cause. Elle mérite que nos intelligences, celles de nos cœurs et de nos esprits, se mobilisent. Pour autant, avec la meilleure volonté du monde parvient-on toujours à comprendre et à pardonner certains crimes ? Parvient-on à tirer les leçons des histoires passées ? Parvient-on à faire progresser l’humanité ? Vaste question proposée à votre réflexion… mais avant tout, retour sur images.

Les faits

28 mai 1930. C’est le début d’une belle après-midi printanière. Genre conte de fée pour petite fille sage : Jeanne-Marie Gautier, épouse Bolusset, belle-fille de l’ancien maire de Marigny, referme tranquillement la porte de sa maison. Cette mère de famille, âgée de 30 ans, a deux enfants dont l’un a 7 ans et l’autre 5. Comme on le dit à l’époque, « elle est dans une situation intéressante », entendez par là qu’elle est enceinte de son troisième enfant. Pour autant, c’est d’un pas alerte que Jeanne-Marie se dirige vers le hameau de Boucanseaud. Elle va s’y ravitailler en pain, à la ferme, pour le goûter. Il s’agit de respecter une tradition qui, en parler local, se traduit par une expression aussi lourde que les tranches de pain sont épaisses : « Faire les quatre heures ».
Sur le chemin du retour, dûment lestée de sa miche, Jeanne-Marie traverse un petit bois à proximité duquel un ouvrier agricole, René-Henri Mercure, élague une haie. Disons une bouchure, toujours pour rester dans la couleur régionale. Fin subite du tableau délicatement printanier, au suave enchevêtrement de couleurs infiniment nuancées comme Jean Laronze aurait sans doute aimé le peindre.

Ce petit chemin

Le rideau tombe. Changement de décor. On pénètre brusquement dans le gore. L’ouvrier agricole s’approche de Jeanne-Marie Bolusset. Sans vergogne aucune, d’emblée, il lui fait des propositions fort crues dans un langage que l’on image fort peu châtié. De toute évidence, le petit gars n’a lu ni Ronsard, ni Lamartine, ni Vivant-Denon, et il ne s’encombre de nul préambule pour parvenir à ce qu’il considère comme l’essentiel de sa démarche. Madame Bolusset, honnête bourgeoise de province, s’empresse de renvoyer l’importun tailler sa bouchure, toutes affaires cessantes. Elle le fait vertement… mauvais jeu de mots pour une affaire qui va mal très mal tourner.
Madame Bolusset a crié sur le jeune journalier. Elle a su faire preuve d’autorité dans l’urgence, mais au fond d’elle-même, elle est angoissée. Alors, elle hâte le pas pour regagner son logis. Son logis, ce havre de pays et de quiétude où l’attendent ses enfants qui ont dû se réveiller après leur sieste, une sorte de paradis. Et plus elle marche, plus elle marche vite, et plus ce paradis lui paraît une sorte d’inaccessible paradis. Alors, bien qu’elle soit enceinte, bien qu’elle se sente lourde, très lourde, de plus en plus lourde et bien que ses jambes aient du mal à la porter, voilà qu’elle se met à courir. Sans doute ce que les spécialistes nomment l’instinct de survie.

Le grand Mercure

Mercure a tôt fait de rattraper Jeanne-Marie Bolusset. Il a beau avoir l’aspect maladif des gamins mal nés, il a pour lui et sa jeunesse et une sorte de folie qui couve en lui depuis des jours et des nuits que ses rêves sont hantés par cette femme. Mercure, au nom si poétique est équipé – armé – de son vouge, cette serpe en fer fixée au bout d’un long manche et qui sert à émonder arbres, arbustes, haies. Vouge fatal. Vouge qui ne va tarder à devenir rouge.
En effet, comme la jeune femme résiste aux avances du journalier agricole, il la frappe à deux reprises. Colère ? Déception ? Désir d’affirmer sa puissance sur une femme qui lui résiste ? Honte ? Coup de folie ? Coup de désespoir ? Qui saura ? Jeanne-Marie, saignée à blanc comme un lapin sur le billot d’une cuisine de campagne, meurt aussitôt sous la violence des coups assénés. Le meurtrier – qui ne perd pas le nord pour autant – traîne le cadavre vers le bois. Il a la présence d’esprit de le dérober aux regards des éventuels passants : bergers, bergères, colporteurs, paysans, chemineaux et maquignons.
Et maintenant que l’âme de la belle-fille de l’ancien maire de Marigny monte vers les cieux (enfin espérons-le, il faut toujours imaginer Sisyphe heureux, comme le préconisait Albert Camus), maintenant que René-Henri Mercure a accompli son forfait que va-t-il se passer ? La campagne charolaise a retrouvé son apparence douce, paisible, quiète, mais ce n’est bien qu’une illusion… et ce sera bientôt la fin des illusions dans ce si beau paysage de rêve…

Albine novarino-Pothier

Anthologiste et écrivain, Albine Novarino-Pothier a publié Les Grandes affaires criminelles de Saône-et-Loire et Les Grandes affaires criminelles du Rhône aux éditions de Borée.
http://www.bienpublic.com/faits-divers/2012/02/19/le-drame-de-marigny-(1)

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