samedi 16 juin 2012

Crimes à Culètre

par Albine Novarino-Pothier
Samedi 4 janvier 1845, 7 h 30 : du bourg et des hameaux environnants Culètre, des garçonnets et des fillettes sont venus assister à la leçon de catéchisme hebdomadaire que dispense avec autorité et bienveillance, M. le curé Daunas. A peine débarbouillés, le nez rougi par le froid, mal réveillés, ils bavardent, poussent des cris, rassemblés par petits groupes. Ils sont trop heureux de ce contretemps inespéré : pour une fois, M. le curé est en retard, et c’est toujours autant de pris sur les leçons de catéchisme national à apprendre par cœur, quand, à la question :
« Où est Dieu ? »
Il faut répondre dans un souffle :
« Dieu est partout, au ciel, sur la terre, et en tous lieux. »
Et qu’à la demande :
« Dieu voit-il tout ? »
Il faut d’une traite déclamer :
« Oui, Dieu voit tout, le passé, le présent, l’avenir, et jusqu’à nos plus secrètes pensées. »

Samedi 4 janvier 1845, 8 heures

A la satisfaction d’échapper à quelques minutes de « caté » a peu à peu fait place l’étonnement : pour quelles raisons, M. le curé d’ordinaire si ponctuel, n’a-t-il pas pointé le noir de sa soutane à l’horizon de la place de l’église, en ce froid matin hivernal ? Si quelqu’un était mort, la population l’aurait rapidement su. Le bedeau aurait sonné le glas et il serait allé chercher des enfants de chœur pour une funèbre organisation. Et si quelque autre événement insolite est survenu dans la nuit ou à l’aube, pourquoi le curé n’envoie-t-il pas sa servante, Madeleine Sellenet, prévenir les enfants du catéchisme qu’ils peuvent retourner se mettre au chaud chez eux, et aider leurs parents dont la plupart sont des fermiers qui ont besoin d’eux ?
Las de se geler devant l’église qui reste fermée, les gamins décident de courir vers la maison de leur instituteur, toute proche. Constatant l’état d’excitation de sa marmaille, le maître renvoie illico ses élèves dans leurs foyers et il décide d’aller faire un tour du côté du presbytère, en compagnie de quelques parents qui s’étonnent, eux aussi, que le curé ne se soit pas rendu à l’église dispenser son sacro-saint enseignement hebdomadaire.
Un funeste pressentiment étreint ces premiers témoins. Il faut préciser d’emblée que leur pauvre curé a déjà été victime d’une agression, il y a quelques années, et qu’il a été laissé pour mort par un malfrat qui l’avait attaqué, lui et sa gouvernante. C’était dans la nuit du 8 février au 9 février 1837, un individu s’était introduit par une fenêtre du presbytère, avait assommé à coups de hache et de marteau la servante et le curé et les avait laissés morts sur place. Il avait ensuite ouvert ou forcé tous les meubles et volé tout l’argent qu’il avait pu trouver. Heureusement, le curé que la presse de l’époque qualifiait de « respectable vieillard âgé de soixante-trois ans » n’avait été qu’étourdi par les coups qui lui avaient été assénés sur la tête. De sorte que le matin, revenu de son évanouissement, il avait pu se lever et aller réveiller un pensionnaire du presbytère, qui dormait dans la chambre au-dessus de la sienne, et dont le sommeil n’avait pas été interrompu par le voleur. La servante, quant à elle, n’avait pas tardé à succomber à ses blessures. C’est en se souvenant de ce douloureux épisode qui a marqué Culètre, que Culibrais et Culibraises – ainsi nomme-t-on les habitants de Culètre – en file derrière l’instituteur, qui a pris la direction des opérations, se dirigent-ils vers le presbytère. Que vont-ils découvrir cette fois ? D’emblée, ce dernier note que dans le verger, plusieurs arbrisseaux de la haie semblent avoir été soumis à rude épreuve, comme s’ils avaient livré passage à un intrus ; il remarque également des traces de sabots sur le sentier qui conduit du jardin au presbytère, toujours fermé, en dépit de l’heure avancée de la matinée. Aussi, l’alarme est-elle rapidement donnée.

Culètre, samedi 4 janvier 1845, 11 heures

Sans perdre une minute, le maire de Culètre, M. Godard, a rédigé une lettre qu’il a fait porter au juge de paix d’Arnay. Ce dernier, Jean-Baptiste Guyot, accompagné d’un médecin, le docteur Loydreau, se rend aussitôt sur les lieux. La population, consternée, est massée sur la place de l’église, devant le presbytère. Dans la cour, à environ quatre mètres du bâtiment, à côté du puits, la face contre terre, gît Madeleine Sellenet, la servante, âgée de 48 ans. Sa tête, a été frappée à coups d’instrument tranchant. Elle a cessé de vivre. Le juge, le médecin, le maire, l’instituteur, quelques autres Culibrais continuent leur prospection, le cœur serré, la peur au ventre. Ils n’ont pas tort. A peine ont-ils franchi le vestibule du presbytère, qu’ils vont faire une seconde découverte macabre, à laquelle ils s’attendaient quelque peu, il est vrai : le curé, Joseph Daunas, repose à l’entrée de la cuisine, couché sur le dos. Il est vêtu de sa soutane intégralement boutonnée. Ses bras sont le long de son corps. Le médecin, en se penchant sur le pauvre homme, note que sa tête a été frappée à coups d’instrument tranchant. Lui aussi, cette fois, il a cessé de vivre. Il baigne dans une mare de sang qui s’est répandue sur les dalles. Qui a osé commettre cet abominable double crime ?

http://www.bienpublic.com/faits-divers/2012/06/10/crimes-a-culetre

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