vendredi 27 juillet 2012

Pas de mollesse pour le comte de Molen

Un château, un noble titré, un beau mariage, quand, comment et pourquoi le conte de fée va-t-il virer au cauchemar ? Albine Novarino-Pothier

En 1897, la presse people n’existe pas encore. Dommage. L’affaire du comte de Molen qui alimente les chroniques judiciaires aurait nourri aussi les colonnes de la presse à sensation.

Un joli départ dans la vie

Issu d’une illustre famille, le comte Roger Bernard de Molen de la Vernède est né à Gevrey-Chambertin, le 26 juillet 1849. Il vit une jeunesse dorée, fait des études de droit à Dijon, devient sous-préfet aux Andelys. Mais le temps s’obscurcit : le préfet de Barrême est assassiné dans d’étranges circonstances ; des bruits fâcheux circulent au sujet du comte ; des enquêtes sont conduites mais finalement elles ne le compromettent en rien. Les élections générales approchent ; le beau Roger croit avoir gagné le cœur de ses administrés ; il donne sa démission et se porte à la candidature. Échec.

Un aristocrate désœuvré

L’administration choisit de ne pas réintégrer ce fils de famille en son sein. Voilà notre aristocrate plus oisif que jamais, écornant un patrimoine qui fond et dont les revenus s’avèrent insuffisants pour mener le train de vie élégant et dissipé qu’il affectionne. Ni le travail ni l’effort n’étant sa tasse de thé, il ne lui reste qu’une solution pour tenter de lever les hypothèques qui grèvent les biens de famille : le mariage.

Un mariage si glamour

À trente-cinq ans, Roger se met donc en quête d’une héritière que la perspective de devenir à la fois comtesse et châtelaine attirera. Melle Chanteaud est âgée de vingt-six ans. Son père, pharmacien parisien, a réalisé de belles affaires et il a les moyens financiers d’acheter un époux à château à sa fille. Enfin… quand on dit sa fille… c’est vite dit… La rumeur prétend que Melle Marie Marthe Olympe Chanteaud serait une bâtarde du Prince Napoléon III… l’amour des titres et des châteaux serait donc quasi naturel chez elle…
Bref, le mariage se célèbre, sur fonds de cliquetis de cuillères de vermeil ébréchant au passage des coupes en cristal dans lesquelles fondent des sorbets au marasquin, sous l’œil suave d’angelots en sucre rose. Mais le temps du sucré et du doré, des mots doux est bref. Il existe cependant ; et le comte écrit à sa belle-mère qu’il nomme sa “petite maman” : « Enfin, c’est décidément cette semaine que vos deux pigeons s’envoleront à Turcey, d’où leurs regards se porteront souvent vers les chers absents. Souvenez-vous que Turcey vous tend les bras et que ce n’est réellement que par vous tous qu’il reprendra physionomie vivante, heureuse, enchantée. » Cette belle missive est composée le 10 août 1884, alors que les jeunes époux quittent Paris pour Turcey.

Du fiel en guise de miel

Aux mots aimables ne vont pas tarder à faire place des invectives et des insultes. Autrefois, des vieilles gens de bon sens serinaient à leurs enfants : « Marie-toi dans ton pays, dans ton village, dans ta rue, et si c’est dans ta famille, c’est encore mieux. » De fait, très rapidement, nos deux tourtereaux vont regretter de ne pas avoir contracté d’union dans leur milieu d’origine. Le comte déplore la vulgarité de sa belle-mère qui s’habille « d’oripeaux invraisemblables », il la traite de « poissarde », de « bourgeoise mal requinquée », il juge sa femme mal élevée, sans goût.
De son côté, la mariée reproche à son époux de continuer à voir ses anciennes maîtresses ; il faut dire qu’il a financé un substantiel cadeau de rupture à l’une d’entre elles, en prélevant une somme plus que coquette sur sa dot, ce qu’elle peut juger inélégant… que l’on se place en terme bourgeois ou non, 54 000 francs de l’époque ne se trouvaient pas sous le sabot d’un cheval mort… Par ailleurs, avoir un mari qui s’abreuve de rhum, de l’aube au crépuscule, ce n’est pas complètement classe non plus ; château ou pas, on peut trouver à redire…

La scène d’intérieur

Les journaux de 1887 qui relatent les déboires du couple se déchirant entre l’hôtel d’Albe à Paris et le château de Turcey, en Bourgogne, emploient souvent l’expression “scènes d’intérieur”. Rien à voir avec les tableaux de Vermeer. Ils désignent par cette expression les crises d’ultra- violence au cours desquelles le violent comte envoie voler tout ce qui lui tombe sous la main. La plus remarquable de ces scènes d’intérieur le conduit aux assises : les époux se retrouvent à Dijon, boulevard du Palais, afin d’envisager une séparation. Le comte tire alors sur son épouse une balle de revolver gros calibre. Elle n’est pas atteinte, mais son grand-père maternel, M. Boissin, âgé de soixante-quatorze ans, qui a voulu la protéger, est blessé à l’épaule.

5 mars 1897 : le procès

Les débats dureront trois jours. Maître Falateuf évoque les aïeux du prévenu qui se sont illustrés sur les champs de bataille. Après la réplique du ministère public, il se lève. Il jure sur l’honneur que l’attentat n’a été ni volontaire ni prémédité. Le jury lui accorde les circonstances atténuantes. Pour autant, il est condamné à dix ans de travaux forcés. Cette condamnation, précisent les chroniqueurs de l’époque, est jugée « très sévèrement par le public »…

http://www.bienpublic.com/faits-divers/2012/07/22/pas-de-mollesse-pour-le-comte-de-molen

Aucun commentaire: