Jugé deux fois devant une cour d’assises, totalement innocenté en appel, ce « jeune Noir de quartier », comme il aime se définir, s’apprêtait à devenir footballeur professionnel avant de voir son destin basculer.
Cette « affaire qui a changé le cours de [s] a vie », il la raconte dans un livre coécrit avec notre consœur Aurélie Foulon, dont le titre dit beaucoup de son regard sur l’univers de la justice : « Préjugé(s) coupable(s) »*. Interpellé et mis en examen début 2008, notamment sur la foi d’un témoignage anonyme, Mara Kanté a d’emblée clamé son innocence. Incarcéré vingt-neuf mois dont onze à l’isolement, il conçoit sa détention et son parcours judiciaire comme « un long cheminement » jusqu’aux procès. Au point qu’il en garde les dates « gravées dans la tête » : 21 juin-4 juillet 2010, 4-21 octobre 2011. Car à ses yeux il est clair que seule « la souveraineté populaire », incarnée par la cour d’assises, a permis in fine de le laver de tout soupçon.
« Aux assises, ce sont les jurés qui décident, ce n’est plus la justice, dans le sens de milieu ou d’institution judiciaire, martèle Mara. La justice, on dit qu’elle est impartiale, mais c’est faux. Dans une affaire comme la mienne, où il s’agissait de tentative de meurtre sur des policiers, où les politiques s’en étaient mêlés, la juge d’instruction, les procureurs… tous n’étaient là que pour nous mettre dans le fond. J’ai eu le sentiment de n’avoir jamais été écouté. » A Pontoise, où il comparaît en première instance, puis à Nanterre en appel, c’est donc aux jurés que Mara s’est d’abord adressé quand il avait la parole. « C’était eux qu’il fallait convaincre, tout était entre leurs mains. »
Ce face-à-face, Mara Kanté s’y est beaucoup préparé. Avec son avocate bien sûr, mais seul aussi, en s’appuyant sur les livres qu’il a découverts en détention. « Des compagnons », dit-il, qu’il aime citer, comme ceux de Nelson Mandela (« Un long chemin vers la liberté ») ou de Roger McGowen (« Messages de vie du couloir de la mort »). Il se souvient, la première fois surtout, des « grands yeux étonnés » des citoyens chargés de le juger. « Dans le box, c’est la surprise. Ils voient soudain les visages de ceux dont on a tant parlé dans les médias. Ils sont un peu perdus, pris dans le tourbillon de la justice. Ils vont devoir choisir. C’est cruel. » Au premier procès, l’avocat général requiert quinze ans à son encontre. Mara est acquitté pour les tirs, mais condamné à trois ans pour « port d’arme de 4e catégorie ». « On sentait le poids des politiques sur la cour… La peine couvrait pile ma détention », résume-t-il. Au second, où il comparaît libre, il arrive avec « un gros sac de sport » le jour du verdict, « prêt », au cas où, à retourner en prison. L’avocat général requiert sept ans. La cour d’assises l’acquitte. Un « choc », relate-t-il dans son livre : « Je suis comme un poisson dans l’eau qui pleure. C’est une expression swahilie qui veut dire que je pleure de l’intérieur pour tous les torts que cette histoire m’a causés, je pleure, mais ça ne se voit pas. Je pleure pour les frères restés en prison et qui ont encore de longues et difficiles années devant eux. »
Mara n’a pas pu reprendre le cours de sa carrière de footballeur. Il dit qu’« un bruit, une odeur, un beau soleil » suffisent à le ramener soudain dans sa cellule. Son dossier de demande d’indemnisations en réparation de sa détention provisoire est toujours à l’examen. Il a écrit à l’ancien président de la République, puis à l’actuelle garde des Sceaux. « Il y a eu le verdict, puis plus rien. » Lui s’attendait à « quelque chose ».
Il a mille projets, bien sûr, mais il porte à l’âme ce qu’il appelle « une cicatrice judiciaire ».
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