mercredi 26 juin 2013

Haute-Loire. Prédire la «dangerosité», exercice aléatoire illustré par l’affaire Agnès Marin

L’affaire du Chambon-sur-Lignon a ravivé le débat sur la détection de la dangerosité, avec des appels à renouveler les méthodes des experts, bien que les professionnels de la justice en soulignent le caractère aléatoire. «Suivi défaillant», «dysfonctionnements": le procès devant les assises des mineurs de Haute-Loire de Matthieu, 19 ans, accusé du viol et de l’assassinat fin 2011 d’Agnès Marin, 13 ans, a fait resurgir les critiques nées après la découverte du corps de l’adolescente.
Fin 2010, sur la foi d’une expertise favorable, Matthieu avait été remis en liberté après avoir reconnu le viol d’une amie d’enfance, menacée d’un couteau et ligotée. Sous contrôle judiciaire, il avait été admis au collège-lycée Cévenol du Chambon-sur-Lignon, théâtre un an plus tard du meurtre d’Agnès.
Après la première agression, l’adolescent «avait confié une réelle empathie envers la victime», avait relevé Claude Aiguesvives, expert-psychiatre à Montpellier, estimant qu’il ne présentait «pas de dangerosité». Il témoigne ce mercredi devant les assises.
Mais «la dangerosité n’est pas toujours lisible dans la personnalité, si le sujet ne livre rien de son imaginaire», souligne Roland Coutanceau, psychiatre et criminologue, qui milite pour une évaluation «de l’acte et pas seulement de l’homme».

Fiabilité ?
Pour lui, les statistiques sur la récidive mettent en évidence des «facteurs de risque» objectifs, liés au mode opératoire: dans le cas de Matthieu, le fait d’avoir utilisé une arme et ligoté sa victime de manière préméditée, loin d’un acte pulsionnel.
Aux côtés de l’entretien clinique dominant en France, les appels se multiplient depuis plusieurs années pour promouvoir les «échelles actuarielles» d’origine nord-américaine, largement employées en Europe, et inspirées des calculs de risque des assureurs.
Utilisées par une trentaine d’experts sur plus de 500 en France, ces échelles prédisent la récidive avec plus de fiabilité et éliminent la subjectivité de l’évaluateur, source de divergences entre experts «dans 80% des cas», affirme le rapport parlementaire Blanc-Warsmann de février 2012.
Moins enthousiaste, l’Académie de médecine a néanmoins recommandé fin 2012 qu’on «enseigne et diffuse» ces méthodes. La commission Tulkens de prévention de la récidive a préconisé de son côté, en février dernier, «une phase d’expérimentation».
Côté magistrats, on rappelle cependant que personne n’a attendu de disposer d’échelles chiffrées pour s’alarmer de certains comportements, en particulier s’ils révèlent «une volonté d’humiliation» ou «une perversité».

«Humble»
«Il faut ramener ces techniques à leur juste dimension. Aucune n’apporte de certitude et au final, c’est le juge qui se fait son idée et prend des précautions», explique le président du tribunal pour enfants de Bobigny, Jean-Pierre Rosenczveig.
Pour une autre juge des enfants, qui préfère conserver l’anonymat, «il vaut mieux rester humble quand on prédit l’avenir, surtout avec les mineurs. Ils peuvent changer énormément en quelques mois, en fonction de choses qu’on ne maîtrise pas».
«On a tous vu des gamins pour lesquels on était très inquiets s’apaiser d’un coup, parce qu’ils ont une copine. Il y a des facteurs de stabilisation qui aident. A l’inverse, certains perdent totalement les pédales parce que leur mère est malade», souligne-t-elle.
A ses yeux, une approche trop mécanique de la problématique de la dangerosité présente un danger supplémentaire. «Quand on enferme les gens dans des cases sur la base de pourcentages, ils deviennent ce qu’on attend d’eux», insiste la magistrate.
«Il faut débattre du risque éthique. On ne peut pas incarcérer à vie tous les gens qui semblent hautement dangereux, alors qu’ils n’auraient peut-être jamais récidivé», renchérit le psychiatre Roland Coutanceau, pourtant partisan des méthodes statistiques.
Pour lui, «il faut imaginer trois degrés d’accompagnement en fonction du risque de récidive: accompagnement léger, injonction de soins, ou injonction de soins conjuguée au bracelet électronique. L’enjeu, c’est le suivi.»


http://www.leprogres.fr/haute-loire/2013/06/26/predire-la-dangerosite-exercice-aleatoire-illustre-par-l-affaire-agnes-marin

Aucun commentaire: