dimanche 29 septembre 2013

« La justice n’a pas la culture du mea culpa »

Pourquoi ce livre ? D’abord pour Loïc Sécher. Il a été judiciairement réhabilité, totalement blanchi, mais il me paraît important de donner une autre dimension à cet acquittement. On ne sait jamais, des fois que certains, dans la rue, le regardent en se disant qu’il n’y a pas de fumée sans feu, qu’il est peut-être quand même coupable malgré tout, comme dans l’affaire d’Outreau.  Par ailleurs, c’est pour moi le cas pratique de « Bête noire » (NDLR : son précédent livre). Et, là, j’ai pu illustrer tous ces dysfonctionnements de la justice dont je parlais. Dans l’affaire Sécher, ces dysfonctionnements ont conduit deux cours d’assises à condamner un innocent.
Ces dysfonctionnements interviennent au niveau de l’enquête ? De l’instruction ? Du procès ?
A tous les niveaux. Dans l’affaire Sécher, un gendarme - qui est par ailleurs ami du père de la victime - veut des aveux et comme il ne les obtient pas, il va délibérément se placer sur le terrain de la sexualité et demander ses fantasmes à Loïc. Par nature, les fantasmes sont judiciairement irrecevables. Il n’y a pas de beaux fantasmes et des fantasmes moches. Et assez naïvement, Sécher va lui répondre. Alors que cette part de l’intime n’est en rien susceptible d’éclairer une enquête.
Par ailleurs, il n’y a jamais eu de confrontation entre Sécher et cette adolescente qui l’accusait. Dans ce dossier, il y avait pourtant largement matière à douter. La gamine a avancé ses accusations par étapes. Et chaque fois, elle rajoutait des faits. Mais les constatations médico-légales auraient dû faire douter.
Une erreur judiciaire est une accumulation de petites erreurs qui débouchent, au final, sur une monstruosité, un OVNI judiciaire…
Oui. C’est une prise de risque volontaire avec les principes qui sont les nôtres. Dans ce dossier, il y avait matière à douter. Mais on est, une fois encore, dans la dictature de l’émotion.
‘’ La victime, électoralement très porteuse ’’
Ces dernières années, on a accordé une place énorme aux victimes. A chaque fait divers, il y avait un ministre ou le président sur place. Cela a débouché sur une véritable inflation législative…
C’est électoralement très porteur. Je pense que le pouvoir politique a finalement peu de prise sur l’économie et se rabat, par facilité, par médiocrité, sur le sécuritaire. Et c’est gagnant à tous les coups. Quand on essaie de mettre en place des aménagements de peine, on nous dit qu’on méprise les victimes. Ces victimes sont devenues un mot d’ordre électoral. On a feint de découvrir une espère d’axiome indiscutable selon lequel il suffirait de condamner très fort pour obtenir la rémission des crimes. C’est faux. Le crime est consubstantiel à l’humanité et si condamner très fort suffisait, cela se saurait. Le risque zéro n’existe pas et n’existera jamais.
Malgré ces erreurs judiciaires, vous écrivez que la justice n’a pas la culture du mea culpa…
Daniel Legrand fils, l'un des acquittés de l'affaire d'Outreau, a été renvoyé devant la cour d’assises de Rennes pour des faits qu’il aurait commis quand il était mineur. Alors que c’est la même qualification que celle pour laquelle il a été acquitté. Que souhaite-t-on ? Une condamnation ? C’est monstrueux. Il a été détenu pendant quatre ans, comme son père, il a basculé dans la drogue, a eu un mal fou à se reconstruire.  Et quand tout est terminé, sous la pression d’un syndicat de magistrats et d’une association de victimes coproductrice du film «  Outreau, l’autre vérité », le procureur général de Douai renie sa parole et renvoie ce gamin aux assises. Mais Outreau n’a jamais été admis dans la magistrature. Pour elle, c’est une plaie béante. Il faut absolument que l’institution ne se soit pas trompée.
Très souvent, les innocents se défendent moins bien que les coupables…
C’est certain, ils ne connaissent pas l’histoire. Le coupable, s’il est habile, peut adapter son discours à la vérité qu’il connaît. L’innocent est aussi souvent hébété parce qu’il ne comprend pas ce qui lui tombe dessus. Il est persuadé que cela va se résoudre tout seul, que la justice va se rendre compte qu’il est innocent. On a reproché à Dreyfus de ne jamais avoir fait de demandes de mise en liberté. Mais, militaire, grand serviteur de l’Etat, il était convaincu que l’institution allait se rendre compte qu’elle se trompait.
Débuts au cinéma
Que pensez- vous de la réforme pénale de la Garde des sceaux Christiane Taubira et notamment de cette fameuse peine de contrainte pénale, avec des obligations immédiates mais pas d’incarcération ?
Je ne comprends pas bien ce système. Je pense que l’idée est excellente mais je ne vois pas ce qui distingue cette mesure du sursis avec mise à l’épreuve avec exécution provisoire.
Quelle est la réforme la plus importante à réaliser selon vous ?
Séparer le siège du parquet, réintroduire une véritable culture du contrôle. La chambre de l’instruction reste une chambre de confirmation. On est dans ce que le président Canivet avait appelé la ‘’ bureaucratie judiciaire ’’. Plus personne ne contrôle plus personne.
Cet été, vous avez  fait vos débuts d’acteurs dans un court-métrage (« Vos violences », d’Antoine Raimbault) qui sortira l’an prochain. Faites-nous le pitch…
Un avocat, dont la fille a été agressée, est écartelé par un dilemme cornélien : d’un côté, tout ce qu’il  a appris, sa culture, sa culture du doute, et, de l’autre, une volonté, même forcenée, de connaître une vérité, peut-être en trichant. C’est le questionnement de cet homme qui va ou non trahir pour sa fille un certain nombre de principes auquel il croit. J’ai adoré cette parenthèse cinéma.
Comédien, le parallèle avec votre métier d‘avocat est tentant…
Bien sûr, oui. C’est comment on s’empare d’une émotion qui n’est pas la sienne pour en faire quelque chose. Avec un autre point commun évident : si on n’est pas sincère, cela se sent tout de suite.
La cour d’assises est une forme de comédie…
 Oui. Il y a une théâtralisation, des décors. Il y a des décors, des costumes, une salle. Il y a même une sonnerie d’ailleurs, comme au théâtre. Il y a, oui, une forme de théâtralité. D’ailleurs, s’agissant des avocats, on parle de ténors, comme à l’opéra.
‘’ Acquittator, ça me gonfle… ‘’
Qu’est-ce qu’une plaidoirie réussie pour vous ?
C’est une plaidoirie efficace. Elle se mesure au résultat. Le reste n’a aucun intérêt.
Vous avez la réputation d’être très proches des jurés. Vous dites souvent aimer qu’ils aient envie de boire un Ricard avec vous…
Je suis très accessible mais c’est ma nature.  Je ne me force pas, j’ai des copains dans tous les milieux. Des paysans, des prolos, des fortunés. Je n’ai pas découvert l’éclectisme en devenant avocat. J’ai travaillé longtemps en restauration, c’est l’une des plus belles écoles pour aborder, rencontrer les gens.
Dans une plaidoirie, les mots sont importants. Mais il a aussi les attitudes, les silences…
Oui, il faut bien sûr jouer avec ses interlocuteurs. Il faut être attentif à eux car ils répondent à l’avocat. Bien sûr, ils ne l’interpellent pas mais on voit quand ils adhèrent, quand ils tiquent. Tout est important dans une plaidoirie. Les jurés attendent de l’avocat une jolie forme, ils ont une exigence dans ce domaine, mais ce qu’ils veulent surtout, c’est ne pas être pris pour des ânes. Ils veulent une plaidoirie pédagogique, de bon sens.
Vous avez conscience que les présidents de cour d’assises sont un tantinet angoissés quand vous arrivez dans un procès…
Non. Je pense que les bons présidents sont contents de me voir. Je n’ai jamais eu d’incidents avec eux. Le contradictoire fait peur aux médiocres.  C’est avec les mauvais présidents qu’il faut se battre aux forceps. D’ailleurs, j’ai récemment été invité à une formation des présidents de cours d’assises à l’ENM (Ecole nationale de la magistrature). C’est énorme...
Vous êtes devenu une bête de foire. Attendu pour plaider dans toutes les villes de France et annoncé à grands roulements de tambour…
Cela m’emm… un peu. C’est la rançon de cette notoriété. Mais cette présentation-là me chagrine.
Votre surnom d’« Acquittator » vous fatigue ?
J’en suis à la fois fier et je préfère ça à « Perdator », mais, oui, quelque part, cela me gonfle…
Vous gagnez beaucoup d’argent. Qu’en faites-vous ?
Je gagne très bien ma vie, nettement moins bien qu’un grand joueur de football, qu’un grand avocat d’affaires, mais nettement mieux qu’un ouvrier d’usine. Après, je n’ai pas un train de vie somptuaire mais je m’interdis de pleurer sur mon sort parce qu’il y a des gens qui sont dans une très grande difficulté.
‘’ Le routier le mieux payé de France ‘’
Vous passez votre vie sur les bancs des cours d’assises, aux quatre coins de la France. Seul et sans voir votre famille, vos amis. Vous n’en avez pas marre de cette vie de saltimbanque ?
Un soir de détresse, en compagnie de Michel Mary, un journaliste, je me suis mis à ‘’ chouiner ‘’, à lui dire que j’en avais ras le bol de cette vie de routier. Il m’a répondu : ‘’ T’es le routier le mieux payé de France ! ’’. Il ne faut pas offenser le Bon Dieu. Cette vie, je l’ai choisie, elle me consume, mais c’est ma vie. Et d’ailleurs, dès que je suis en vacances, dès que je m’arrête, au bout de quelques jours, j’ai envie d’y retourner.  Il y a une forme d’addiction, je pense. Le stress que cela génère fait l’effet d’une drogue. J’ai mal mais j’aime avoir mal.
Par ailleurs, ce métier m’apporte tellement de choses. Une forme de bien–être matériel que je ne renie pas mais surtout les rencontres avec des gens tellement différents. Un mendigot le lundi, un prince de sang le mercredi et je finis le vendredi par un ouvrier, un notaire, un commerçant ou un médecin. C’est absolument fantastique ! Quelle chance ! Je pense souvent à ceux qui ont un boulot à la chaîne. J’ai fait ça dans ma vie, j’emballais des vitres de voiture. C’était toute la journée la même chose. Et si je n’étais pas attentif, ça sautait en bout de chaîne et on se faisait engu… Et puis, quel bonheur, dans cette époque hygiéniste et aseptisée, de pouvoir dire ce que l’on a envie de dire. Ça, c’est un vrai luxe…
Albert Naud, mythique pénaliste, disait : ‘’ Les défendre. Les défendre tous ’’.  De l’extérieur, les gens ont du mal à comprendre comment on peut, parfois, faire acquitter un coupable… C’est dérangeant pour vous ?
Non. Je me satisfais de ce que me dit celui que je défends. L’avocat, c’est celui qui prête sa voix, pas sa conscience. Je ne suis pas le juge de celui que je défends.  Moi, ce qui m’importe, c’est de savoir si la preuve de la culpabilité est rapportée. Et si un coupable passe entre les mailles, il faut se souvenir de ce qu’a dit Voltaire : ‘’ Mieux vaut acquitter cent coupables que condamner un seul innocent ‘’.
Un mot sur le procès de Jean-Louis Muller. Poursuivi pour avoir maquillé le meurtre de son épouse en suicide, ce médecin a pris deux fois 20 ans avant que la Cour de cassation n’annule le verdict. Il sera donc jugé une troisième fois à Nancy, du 21 au 31 octobre prochains. C’est le plus gros rendez-vous judiciaire de l’année 2013…
Un seul mot car je veux réserver l’exclusivité de mes explications aux juges : je ne comprends pas comment cet homme a été  condamné.
Recueilli par Eric NICOLAS
 « Le calvaire et le pardon, les ravages d’une erreur judiciaire revue et corrigée », de Loïc Sécher et Eric Dupond-Moretti, aux Editions Michel Lafon.

http://www.estrepublicain.fr/actualite/2013/09/29/la-justice-n-a-pas-la-culture-du-mea-culpa

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