lundi 28 avril 2014

La justice crie misère sur la Côte d’Azur

Greffiers en colère, parquet exsangue, pénurie de matériel et retards qui s’allongent : de Nice à Grasse, le monde judiciaire doit lutter pour assurer sa mission de service public. Jusqu’à quand?
C'est l'histoire d'une photocopieuse en panne qui chamboule un procès, fin mars à Nice, en entraînant le renvoi de l'audience. « La grande misère de la justice », dixit une présidente de tribunal dépitée.
Certes, on n'en est pas au stade de Bobigny, où un meurtrier présumé a recouvré la liberté début février à cause d'un… fax à court d'encre. Mais selon des observateurs de la justice azuréenne, les tribunaux de grande instance (TGI) de Nice et Grasse ne sont pas à l'abri d'un tel couac, au regard de leur état de délabrement.
Il y a un an, la crise secouait le greffe sur la Côte. La fronde est aujourd'hui nationale. À Nice, c'est désormais le parquet qui est en surchauffe, tandis que les procédures civiles s'entassent des deux côtés du Var. Pénurie d'effectifs, budgets rabotés…
Même avec toute la bonne volonté du monde, magistrats et auxiliaires de justice peinent à assurer leur mission de service public. Conséquence : délais rallongés et audiences reportées. Bref, au bord de la Méditerranée, le navire justice prend l'eau.
Cherche magistrats
La France recensait 8 208 magistrats en 2009 ; ils étaient 7 916 l'an dernier. À ce jour, le TGI de Grasse compte 44 juges pour un effectif théorique de 46. Soit peu ou prou l'équivalent de Nice. Mais dans la capitale azuréenne, c'est surtout le parquet qui traverse « un moment difficile », dixit le procureur Eric Bedos.
Malgré deux renforts, ses services tournent à 12 magistrats au lieu de 16 ! Et de telles turbulences pourraient bientôt rattraper Grasse.
S'il compte pour l'heure 14 magistrats sur 15, le procureur Georges Gutierrez craint de voir ses troupes réduites à 12 à la rentrée de septembre.
Autant dire que les arbitrages définitifs, à la mi-juin, sont guettés sur la Côte avec un mélange d'impatience et d'anxiété. Julien Ficara, porte-parole de l'USM (Union syndicale des magistrats) à Nice, dénonce« une situation très tendue, problématique et qui pose question. »
En cause ? « Une politique de gestion des ressources humaines qui n'a pas pris en compte les départs à la retraite. Il n'y a plus de marge. Les magistrats de renfort deviennent pratique courante. » Et ni le coût de la vie sur la Côte, ni la charge de travail ne plaident pour son attractivité.
La présidente du TGI de Nice, Dominique Karsenty, n'a pas souhaité s'exprimer sur le sujet. Alors c'est Philippe Ruffier, son homologue grassois, qui tire la sonnette d'alarme. « On n'est pas loin du point de rupture ! L'activité augmente mécaniquement, car on nous demande de mettre en œuvre des réformes demandant des moyens. Et dès qu'il manque quelqu'un, on est sous tension. »
Du mieux au greffe
« Il y a un an, les magistrats n'avaient pas de greffiers ; aujourd'hui, c'est l'inverse ! », exagère à peine Julien Ficara. Indubitablement, l'arrivée de renforts et de nouveaux chefs a remis de l'ordre à Nice et Grasse.
« Le déficit s'est reporté sur leback-office: cellule budgétaire, reprographie…,observe Philippe Ruffier,L'édifice tient, grâce à l'implication de l'immense majorité. Mais si vous ne remplacez pas les pièces d'usure, ça finit par casser. »
Cure d'austérité
Au régime sec ! En 2014, les crédits fournitures accordés à Grasse ont été divisés par deux. « On va finir par se cotiser pour fournir du papier au tribunal de grande instance…,soupire Catherine Becret-Christophe, bâtonnier de Grasse. À moment donné, le TGI ne chauffait plus. On n'était pas loin de venir plaider avec des moufles. »
Philippe Ruffier confirme : « Cette politique de rabot atteint ses limites. On est un peu à l'os ! Là, on a de quoi payer un trimestre d'électricité. » On en est là…
Délais à rallonge
Départs non-remplacés, congés maladie… Les carences de magistrats se paient cash. Pour leurs collègues, contraints à redoubler d'efforts. Et pour les justiciables, qui voient le traitement des dossiers différé de plusieurs mois.
« C'est un jonglage permanent,constate le juge niçois Côme Jacqmin, du Syndicat de la magistrature. On réduit le robinet : moins d'affaires jugées, donc plus de délai d'attente. »
Au civil, l'activité est dans le rouge un peu partout. « En cinq mois, on a dû renvoyer dix audiences, calcule Julien Ficara. À raison de 35 à 60 dossiers par audience, faites le compte ! »
A Nice comme à Grasse, le contentieux de la construction est un chantier en suspens. Philippe Ruffier évoque « un stock de dossiers de deux ans d'âge que l'on n'arrive pas à réduire ».
Me Becret-Christophe relaie l'exaspération ambiante : « Les retards se sont aggravés. C'est inadmissible ! Les gens ne comprennent pas. »
Côté pénal, Nice envisage de supprimer certaines audiences correctionnelles dès septembre. Georges Gutierrez, de son côté, reconnaît qu'il va« falloir faire des choix » de priorité parmi les dossiers.
D'autant qu'il a exigé de récupérer les 10 000 dossiers en stock dans les commissariats de l'ouest du département. « Ça contribue à empirer la situation… mais il faut le faire. » Pour lui, comme pour bien d'autres, un mot résume la situation : « Préoccupante ».
http://www.nicematin.com/cote-dazur/la-justice-crie-misere-sur-la-cote-d%E2%80%99azur.1715484.html

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