jeudi 4 juin 2015

Ils sont les seuls accusateurs de Daniel Legrand, jugé à Rennes pour viols sur enfants. Chérif, Jonathan, Dimitri et Dylan, fils de Myriam Badaoui, ont depuis l'affaire d'Outreau vécu un parcours chaotique et semblable fait d'errances. Trois d'entre eux sont parties civiles, la parole est ce jeudi à leurs avocats.

Ses pas, pressés, retentissent dans l'enceinte du palais de Justice de Rennes. Jonathan Delay va et vient. Il a du mal à tenir en place. A l'extérieur de la salle d'audience, qu'il quitte fréquemment, il tire avec frénésie sur sa cigarette. Tapote sur son smartphone. Prend l'air, un café, et retourne à sa place, sur le banc des parties civiles, au procès de Daniel Legrand, jugé pour viols sur ses frères et lui à Outreau entre 1997 et 2000. Dimitri et Chérif, également parties civiles, n'ont fait que des apparitions ponctuelles à l'audience, afin de livrer leur témoignage à la cour d'assises pour mineurs d'Ille-et-VIlaine.  

"Victime d'Outreau"

A 21 ans, cheveux gominés, Jonathan Delay est - comme les trois autres - reconnu "victime d'Outreau": violé avant ses six ans par ses parents et un couple de voisins, au domicile familial, dans le quartier de la Tour-du-Renard. Myriam Badaoui a été condamnée à quinze ans de prison, son ex-époux Thierry Delay à vingt ans. "Vous êtes victimes des choses les plus graves de la part de vos parents dont le rôle est de vous protéger, pose d'emblée l'avocat général. Mais aujourd'hui, il s'agit de Daniel Legrand, acquitté deux fois de viols."  
Jonathan, Chérif et Dimitri n'avaient jamais désigné l'homme comme l'un de leurs agresseurs. A Rennes, ils assurent désormais que, parmi les auteurs des abus sexuels, il y aurait des acquittés, dont Daniel Legrand fils. "Je peux l'assurer qu'il était là, je ne suis pas là aujourd'hui devant vous pour mentir, plaide Jonathan. J'ai certaines images où je le vois chez mes parents." "Je sais qu'il était là, lui fait écho Dimitri, 23 ans, et je l'ai vu abuser de moi et mes frères." Dix ans après les faits, les victimes peinent à "donner plus de précisions". "Il a été victime de mon beau-père exactement comme moi, avance Chérif, 25 ans, surprenant la cour. Il évoque "une scène" dans laquelle Daniel Legrand, une fois, sera lui-même agresseur.  
L'avocat général résume alors le champ des possibilités. Les frères disent vrai, Daniel Legrand a bien abusé d'eux ; ils mentent malgré eux en opérant une projection sur l'accusé ; ils savent que c'est faux et profitent de "l'aubaine juridique" d'un nouveau procès. 
"Je ne mens pas, coupe court Jonathan. Si je n'avais rien à lui reprocher, je ne serai pas là." Les quatre condamnés, les parents et les voisins, maintiennent pour leur part qu'il n'y avait personne d'autre lors des viols des enfants. Ni d'autres victimes, ni d'autres agresseurs. Ils disculpent ainsi Daniel Legrand et accusent indirectement leurs enfants de me

Dimitri se tapait la tête contre les murs"

Rennes se repasse le film d'horreur. "J'ai grandi dans un contexte où on ne peut pas rire, ni jouer. Même les cadeaux reçus étaient au service des adultes", se remémore Jonathan. Sous le sapin, une cassette pornographique en guise d'initiation sexuelle. Tour à tour, les Delay et leurs assistantes familiales respectives racontent les crayons et fourchette introduits dans les fesses, les godemichés, le "devant de papa" mis dans leur "derrière", les fellations imposées, le caméscope pour filmer ces scènes, les hospitalisations en urgence...  
La machine judiciaire s'enclenche lorsque Dimitri (8 ans), le premier, parle. Chérif (10 ans), Jonathan (6 ans) et même Dylan (2 ans), placés par les services sociaux, lui embrayent le pas. Au terme de l'instruction controversée du juge Fabrice Burgaud, 17 personnes sont mises en examen, parmi lesquelles 13 seront finalement acquittées. Chérif raconte dans son livre, Je suis debout, paru au Cherche Midi, avoir appris les acquittements par un éducateur. "Je suis resté sans voix. J'ai fumé une dizaine de clopes d'affilée. Puis ma tête est devenue un cocktail Molotov. L'explosion a été violente. J'ai tout cassé dans la turne." Les condamnations des ex-époux Delay n'apportent pas plus d'apaisement. "Après Saint-Omer, raconte à la cour l'assistante familiale qui a recueilli Dimitri, il se tapait la tête contre les murs, retournait tout dans sa chambre et n'allait plus à l'école."  
Les audiences de 2004 et 2005 ont laissé une plaie béante. Elle s'ajoute aux cicatrices du passé. En 2015, un profond sentiment d'injuste demeure encore. Jonathan se souvient que les acquittements ont fait comme si [il] "avai[t] été coupable [lui]-même". "Le ressenti que j'ai eu quand j'ai vu tous ces acquittés avec les ministres? Comment s'est possible? Aujourd'hui je l'ai encore ici", crie Chérif évoquant le retentissant fiasco judiciaire. "J'en peux plus, je suis fatigué de tout ça, fatigué d'être insulté, d'être diffamé sans que je puisse répondre", ajoute le jeune homme, en larmes, qui se fait désormais appeler Kévin.  

"J'ai fini SDF le jour de mes 18 ans"

Depuis, la vie des enfant Delay n'a été que chaos. Tous, à peu de choses prêt, dépeignent le même enfer, enchaînant les familles d'accueil, les foyers à l'adolescence, puis un "épisode de rue". "J'ai fini SDF, le jour de mes 18 ans, picolé, fumé, provoqué la police", confesse Chérif, qui purge une courte peine de prison pour "violences" dans un établissement psychiatrique. "J'ai des hauts et des bas, poursuit le jeune homme. Je suis devenu même violent avec ma compagne, c'est pour ça que je suis incarcéré... J'ai l'impression de reproduire certaines choses de mon passé, en gros la violence."  
Après les foyers, son frère Dimitri a passé deux années dans un centre éducatif fermé pour avoir été mêlé à une bagarre quand il était sans domicile. Dylan, le petit dernier, serait parti vivre au Maroc. Il ne s'est pas constitué partie civile et n'a pas assisté aux débats. Le procès à Rennes, au goût amer de vaine reconstitution, aura au moins eu le mérite de réunir trois des frères Delay, devenus, d'après Jonathan, de quasi inconnus.  
 

 
 

Aucun commentaire: