mercredi 14 octobre 2015

Procès Bonnemaison : "Ma mère me demandait comment en finir"

Les bancs de la presse se sont légèrement vidés à l'heure où commençait cette troisième journée de procès à Angers. Nicolas Bonnemaison, ex-urgentiste au centre hospitalier de la Côte basque à Bayonne, est jugé depuis lundi devant la cour d'assises d'appel du Maine-et-Loire pour "empoisonnement" de sept patients en phase terminale en 2010 et 2011.
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  • Mercredi, fin de matinée : "Ne m'oubliez pas, pensez à moi"

Les yeux ont rougi. Public, forces de l'ordre (qui assurent la sécurité), journalistes. "Merci pour ce témoignage poignant", se lève à chaque fois l'avocat général. Trois femmes se sont succédé à la barre en fin de matinée pour partager leur "expérience douloureuse". Celle d'un proche en grande souffrance qui voulait simplement une aide pour partir, que la loi n'autorisait pas. 
Sur le même sujet : Le Dr Bonnemaison se défend
 
Liliane Bordet a 54 ans. Elle habite Arcangues au Pays basque. Née à Bayonne, juriste de formation, devenue commissaire-enquêteur, elle a "proposé spontanément" son témoignage à la défense de Nicolas Bonnemaison. "Pour parler la fin de mes deux parents". 
Son père souffrait d'un cancer de la prostate qui s'est généralisé. "La chimio et les traitements anti-douleur ne donnaient plus rien. Il ne voulait surtout pas finir grabataire dans un hôpital. Avant d'être hospitalisé, il s'est pendu dans la maison familiale. Ça a été sa porte de sortie la plus digne". Il avait 75 ans.
Ça a été "un choc", pour elle et sa mère. "On avait parlé de la mort mais jamais du suicide". "Il est parti dans la dignité, mais dans une grande souffrance. Il a fallu quitter la maison, ma mère a déménagé seule dans un appartement".
"A 78 ans, elle a décidé d'aller dans une maison de retraite qui lui apportait tout le soulagement des charges quotidiennes et un environnement humain."
"Un an après, elle a fait un AVC. Elle est restée paralysée du côté droit. Elle était en chaise roulante, ne pouvait plus se nourrir seule et avec une souffrance physique importante. Elle avait des maux de tête et même des douleurs dans la partie de son corps paralysée."
"Elle a ensuite exprimé sa volonté de ne plus vivre ça. Elle ne voulait plus recevoir de visite. Elle a manifesté un désintérêt total pour la vie. Elle me demandait comment en finir. Devant une telle détresse existentielle, son médecin m'a parlé de partir en Suisse (où le suicide assisté est autorisé, ndlr). Seule dans cette démarche, j'ai fait ce qu'il fallait. Et chaque fois que j'allais la voir, elle me disait : 'alors, où on en est de notre expédition ?'". Expédition, c'est avec ce mot très sobre qu'elles en parlaient.
"Il fallait louer un véhicule adapté. Je voulais faire ça seule". N'impliquer personne d'autre. Finalement, "je ne suis pas allée jusqu'au bout. Elle m'en a voulu."
"Son médecin traitant m'a expliqué qu'il y avait une unité mobile de soins palliatifs à Bayonne qui se déplace". Un médecin de ce service "lui a proposé une solution que je jugeais terrifiante". "Il lui a expliqué qu'elle pouvait refuser des soins. 'Si vous arrêtez vos traitements (diabète, tension), la mort peut vous rattraper'. Elle a hésité, elle voulait mourir, mais ne voulait pas souffrir."
Puis elle s'est résignée. Arrêt des soins. Arrêt de la toilette. "Son médecin traitant a réussi à négocier l'hygiène. La laisser mourir était la solution légale. Plus personne ne prenait sa tension. On attendait qu'elle se fasse rattraper. Ça a duré près d'un mois. Un mois d'agonie".
"Elle a fait des AVC successifs. Elle est devenue aveugle, mais elle a gardé sa lucidité jusqu'au bout". "C'est pas normal, c'est trop long", disait-elle à sa fille.
Sans l'affaire Bonnemaison, qui a "traumatisé Bayonne", "il y aurait peut-être eu une solution en secret", regrette Liliane Bordet, en s'appuyant sur des confidences d'un médecin traitant. "Avec le poids de cette affaire, aucun médecin n'a envie de se retrouver devant une cour d'assises".
La voix émue, elle s'adresse aux jurés. Deux semaines de procès, c'est long. "Je voulais vous demander de ne pas m'oublier quand vous allez délibérer. Pensez à moi".
  • Mercredi, début de matinée : l'euthanasie en Belgique

"Quand j'ai entendu parler de l'affaire, je me suis dit 'ce n'est pas une euthanasie'". En Belgique, l'euthanasie, qui est légale depuis 2002, est définie comme étant "un acte par le médecin de mettre fin à la vie d'une personne à sa demande", explique d'elle-même Jacqueline Herremans. Cette avocate belge de 61 ans, présidente de l'Association pour le droit à mourir dans la dignité, a participé à l'élaboration de la loi autorisant l'euthanasie en Belgique.
Une loi "bien acceptée", dit-elle, par la société, "sans clivage entre croyants et non-croyants" et par les médecins, dont certains pouvaient être réfractaires. "Au départ, des médecins étaient froids à cette idée mais aujourd'hui, nous sommes heureux d'avoir fait cette loi, de pouvoir en discuter librement avec le patient", soutient Jacqueline Herremans.
L'euthanasie en Belgique répond à certaines conditions : le patient doit affronter "une maladie incurable" ou "des souffrances inapaisables" et en "avoir fait lui-même la demande". Un ou deux médecins doivent être consultés concernant le caractère incurable de la maladie ainsi que les souffrances. Le patient doit être informé des autres alternatives à l'euthanasie, comme les soins palliatifs, relève l'avocat général.
Pour l'heure, aucun décès résultant d'une euthanasie "n'a été transféré au parquet", fait valoir Jacqueline Herremans. "Il y a eu des poursuites, mais elles ont soit été classées sans suite soit ont conduit à un non-lieu", poursuit la juriste belge qui déplore un manque d'anticipation pour éviter "ces situation de crise, ces décisions difficiles à prendre en fin de vie par les médecins et la famille" d'un patient qui ne peut plus s'exprimer.
A Me Ducos-Ader, l'avocat de Nicolas Bonnemaison, qui insiste sur le fait que son client "n'est pas un militant de l'euthanasie" - l'ex-urgentiste dit n'avoir jamais eu l'intention de tuer mais voulait juste soulager -, Jacqueline Herremans donne une réponse "évidente", qu'elle nous dit ne "ne pas avoir préparée" : "Je pourrais vous dire aussi que je ne suis pas une militante de l'euthanasie. Comment être pour l'euthanasie en général ? Ce n'est jamais qu'une question de choix."
Et sur la sédation, "que disent les sociétés savantes en Belgique" ?, lui demande l'avocat général. "Nous sommes plus humbles, nous ne parlons pas de sociétés savantes", tacle gentiment l'avocate belge, même si une leçon d'humilité est toujours compliquée... "L'acte d'un médecin de pratiquer une sédation profonde est autorisé par la loi", explique-t-elle. "Tout le droit médical est fondé sur le consentement mais un autre point est la liberté du médecin" de pratiquer les actes qu'il juge comme "la meilleure solution".

Le planning d’audience
Le procès a débuté lundi 12 octobre à 14 heures. Experts, médecins et famille des personnes décédées se succèderont ensuite à la barre jusqu’au jeudi 22 octobre. A noter parmi les témoignages attendus, ceux de trois anciens ministres. Michèle Delaunay s’est exprimée par visio-conférence mardi 13 octobre. Jean Leonetti interviendra le 21 octobre. Pionnier de la loi sur la "fin de vie" de 2005, il est co-auteur de la proposition de loi qui vient d’être adoptée par l’Assemblée nationale, instaurant un "droit à la sédation profonde et continue", un endormissement jusqu’au décès, pour les malades incurables et dont le pronostic vital est engagé à court terme. Bernard Kouchner, lui, doit venir à Angers le jeudi 22 octobre.
Réquisitions et plaidoiries sont programmées pour le vendredi 23 octobre. Le délibéré est annoncé pour le samedi 24.
  • Pourquoi Angers ?

Le procès en appel aurait pu se dérouler à Mont-de-Marsan (Landes) ou Tarbes (Hautes-Pyrénées) dans le ressort de la cour d’appel de Pau. Mais par un arrêt du 6 août 2014, la chambre criminelle de la Cour de cassation a désigné la Cour d’assises d’appel du Maine-et-Loire, à Angers.
Pourquoi Angers ? Aucune explication officielle n’a été fournie. Vendredi, dans un article titré "L’étrange arrivée du procès Bonnemaison à Angers", le quotidien régional Ouest-France exposait plusieurs hypothèses, dont celle de la capacité d’accueil (plus grande) du palais de justice d’Angers pour ce procès à résonance nationale et aussi "un éloignement voulu" pour "prendre des distances avec la région où officiait l’ex-médecin".
  • Retour sur le premier procès

Soupçonné d’avoir "empoisonné" sept patients en fin de vie entre 2010 et 2011 alors qu’il dirigeait l’Unité hospitalière de courte durée du Centre hospitalier de la Côte basque, Nicolas Bonnemaison avait été acquitté le 25 juin 2014 par la Cour d’assises des Pyrénées-Atlantiques au terme d’un procès émouvant pour tous les protagonistes.
La Cour avait conclu que l’urgentiste bayonnais, qui avait été dénoncé par des collègues, avait agi "dans un contexte bien spécifique" avec des patients âgés, incurables et dont les traitements avaient été arrêtés. La Cour avait estimé, que même si Nicolas Bonnemaison n’avait informé ni les soignants ni la famille de ses actes, il n’avait jamais eu "l’intention de donner la mort aux patients", dans le sens du Code pénal.
Tout au long de ce procès, l’ex-urgentiste bayonnais avait répété qu’il avait agi pour soulager les souffrances et non donner la mort.
  • Deuxième procès : deux familles parties civiles

Deux familles des sept patients décédés se sont constituées parties civiles : Yves Geffroy, fils d’André Geffroy, et les époux Iramuno, fils et belle-fille de Catherine Iramuno.
André Geffroy, 92 ans, et Catherine Iramuno, 86 ans, étaient décédés en février et avril 2011 après avoir reçu par le docteur Bonnemaison une dose d’hypnovel (puissant sédatif utilisé en soins palliatifs), sans ce que ce dernier n’informe les familles.
Selon leur avocate, les époux Iramuno attendent de ce nouveau procès "des explications et une condamnation". "Il y a un problème entre la motivation de la Cour d’assises qui n’a pas reconnu l’élément intentionnel et les propos tenus par Mr Bonnemaison à Pau", enchaîne l’avocat d’Yves Geffroy à l’AFP. "Il a déclaré qu’il voulait soulager la souffrance du père de mon client (...). Quelle que soit la sémantique, il y a eu passage à l’acte". Yves Geffroy "attend une condamnation de principe (...) Une condamnation avec sursis".
Sa soeur, elle, avait ouvertement soutenu le docteur Bonnemaison lors du procès en premier ressort à Pau. "Je souhaite qu’il soit acquitté et que la loi soit révisée afin que les médecins n’en arrivent pas là", avait-elle indiqué.
Comme Sylvie Geffroy, plusieurs proches de patients décédés avaient défendu l’ex-médecin en premier ressort. Pour Patricia Dhooge, veuve d’une des victimes disparues en 2010, ce procès en appel est "un acharnement de la justice sur un seul homme, pour servir d’exemple".
Ce nouveau procès - pour lequel tout repart de zéro - doit durer jusqu’au 24 octobre. "Comme vous l’imaginez, j’appréhende beaucoup les semaines à venir, mais on va aller au bout, ensemble, je vous dois tant", écrivait la semaine dernière Nicolas Bonnemaison à son comité de soutien. L’ancien urgentiste bayonnais, qui dirigeait au moment des faits l’Unité hospitalière de courte durée, risque en théorie la prison à perpétuité.

http://www.sudouest.fr/2015/10/14/nicolas-bonnemaison-n-est-pas-un-militant-de-l-euthanasie-2154149-4018.php

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