dimanche 29 novembre 2015

Elisabeth Borrel lutte contre la raison d'Etat

Les années passent, Élisabeth Borrel ne lâche rien. Le 15 octobre 1995, son mari, Bernard, magistrat détaché à Djibouti, a été assassiné. Depuis, cette magistrate, qui a longtemps occupé en poste à Toulouse, se bat contre l'institution judiciaire pour obtenir des progrès dans l'instruction sur la mort de son mari, père de ses deux enfants. Pas simple comme elle l'a de nouveau expliquée hier à ses pairs à l'occasion du 49e congrès du Syndicat de la magistrate, réuni à Toulouse.
Bernard Borrel a été assassiné le 18 octobre 1995 à Djibouti. Vingt ans plus tard, sait-on par qui et pourquoi ?
Élisabeth Borrel : Officiellement non. Moi j'ai une petite idée mais mes nombreux collègues juges d'instruction qui se sont succédé, 12 en vingt ans, n'ont pas beaucoup cherché.
Comment l'expliquez-vous ?
Il faut leur poser la question. Pendant trois ans, dans les premières années, on a essentiellement voulu démontrer que Bernard s'était suicidé. C'est faux et c'est officiel depuis 2003. Pourtant on essaye encore de m'expliquer que Bernard était dépressif…
Est-ce exact ?
Mais je m'en fous ! Depuis quand dans un dossier instruit pour assassinat on s'inquiète de la psychologie de la victime ? Bernard Borrel a été assassiné. Ses doutes, s'il en avait, n'intéressent personne et surtout pas les juges d'instruction. Il est victime, pas auteur !
Et curieux hasard, les scellés qui concernaient ce dossier ont été détruits…
Oui. On ne sait ni quand, ni sous l'ordre de qui. Le registre porte juste la mention non-lieu qui n'a jamais été délivrée.
Une simple erreur ?
Bien sûr ! Un hasard. Le short que portait mon mari avec deux traces d'ADN disparu, le bidon d'un des deux produits inflammables utilisés disparu aussi, l'huile de cannabis disparu également.
De l'huile de cannabis ?
Depuis 20 ans j'ai eu droit à toutes les accusations : mon mari était homosexuel, pédophile, escroc, corrompu et donc drogué !
Difficile à supporter ?
Je suis magistrate. Mon mari occupait un poste de magistrat détaché à Djibouti. Il servait la France. Depuis octobre 2007, Nicolas Sarkozy alors Président de la République a dit officiellement que Bernard avait été assassiné, victime d'un attentat terroriste. Les terroristes, actuellement, je crois qu'on les recherche partout.
Pas vraiment dans le dossier de votre mari.
C'est bizarre, non (sourire ironique).
Qu'est-ce qui bloque l'enquête ? La raison d'État
Quoi d'autre ? Dès que l'on commence à mouiller l'armée, à poser de questions qui fâchent, les portes se ferment. J'ai quand même vu un général, dans le cabinet du juge d'instruction, attraper mon avocat par le col pour le sortir. Est-ce une réaction normale. Que veulent-ils cacher ?
Vingt ans après, pensez-vous encore qu'un jour vous saurez ?
J'en suis persuadée et depuis le début. Trop de personnes savent. Une collègue m'a expliqué récemment que 24 ans après l'assassinat d'un juge, en Italie, un homme venait de parler. De gens parleront. Je me souviens d'une amie, à Djibouti quelques jours après la mort de Bernard. Elle m'avait expliqué : je ne peux pas parler. J'espère que cette femme, que d'autres, un jour oseront dire la vérité.

http://www.ladepeche.fr/article/2015/11/29/2227316-elisabeth-borrel-lutte-contre-la-raison-d-etat.html

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