mercredi 14 avril 2010

"Y a-t-il un meurtrier parmi nous?"

Treize ans après, la justice française réclame le suspect. Le mandat de la dernière chance a été délivré à l’encontre de Ian Bailey
J’ai rencontré une fille l’an dernier. Quand je lui ai dit que j’étais de Schull, la première question qu’elle m’a posée c’est: 'Alors, il est coupable ou non ce mec?'" A Schull comme ailleurs en Irlande, on ne fume plus dans les pubs. Entre deux pintes, John, solide gaillard âgé d’une trentaine d’années, est sorti s’en griller une. Sa réponse? "Ben, pour moi c’est lui, mais je peux me tromper… " Treize ans que les habitants de ce coin perdu d’Irlande, au sud-ouest de l’île, se posent tous la même question. Y a-t-il un meurtrier parmi nous? Ian Bailey, ex-journaliste britannique installé dans la région depuis une vingtaine d’années, aujourd’hui étudiant en droit à Cork, a-t-il tué la belle et riche Française Sophie Toscan du Plantier quelques jours avant Noël 1996?

"Les gens sont divisés, commente Jack au comptoir du Harbour View qui se vide lentement au coup de sifflet final du match de rugby. Il y a dix ans, une grande majorité le condamnait. Aujourd’hui, les gens sont beaucoup moins convaincus…" Le mandat d’arrêt lancé par un juge français change-t-il la donne? "Ce serait bien que l’on sache enfin!" résume une commerçante.

"Sophie". Un simple prénom est gravé au pied d’une croix celtique plantée au bord du chemin. C’est là que le corps de la blonde épouse du célèbre producteur de cinéma, décédé depuis, a été retrouvé par ses voisins irlandais un matin de décembre 1996. Alfie et Shirley vivent toujours là, au bout d’une route improbable qui serpente entre roche et buissons en fleurs. "Difficile à trouver? C’est pour ça que l’on habite ici…"

Trois maisons perdues sur la colline. Une poignée de moutons et le double de chevaux sont les seuls êtres vivants à des kilomètres à la ronde. Il faut aimer le vent et le silence. Blanche et sans prétention, la maison de Sophie Toscan du Plantier orientée plein sud face à l’océan n’est pas à l’abandon. "La femme de ménage est venue ces derniers jours. Son fils Pierre-Louis ne devrait pas tarder. Les parents de Sophie viennent aussi régulièrement. Notamment pour l’anniversaire, mais pas cette année", indique le couple de retraités.

Deux jours avant le drame, Sophie était venue se réchauffer au pub O’Sullivan à Crookhaven, 38 habitants l’hiver, à l’extrémité d’une péninsule d’une beauté sauvage et rare. La table près du feu. "C’était sa place préférée, se remémore Dermot, le patron francophone. Elle arrivait souvent seule, ou avec sa cousine. Elle était super gentille. Comme elle venait l’hiver, on avait le temps de discuter."

La police s'est cassé les dents sur le cas Bailey
Le temps a passé mais pas le souvenir. Ni ce sentiment de honte. "Oui, insiste Dermot, ça fait presque quatorze ans et ce n’est toujours pas résolu." La faute des policiers? "Il faut bien comprendre que c’était le premier meurtre dans le secteur depuis cent ans, souligne le patron du pub. Les gars n’avaient jamais vu ça. Ils ont complètement piétiné la scène de crime. Et on avait qu’un médecin légiste dans le pays, alors…"

Deux affaires ont véritablement défrayé la chronique judiciaire dans le sud de l’Irlande ces dernières années. Le meurtre de Sophie Toscan du Plantier en 1996 et celui d’un garçon de 9 ans tué par son voisin d’à peine 20 ans à Midleton, près de Cork, en 2005. Dans les deux cas, c’est Frank Buttimer qui a été choisi comme avocat de la défense. C’est dire la réputation de ce pénaliste de Cork "surbooké", qui reçoit le JDD. Chaleureux, énergique, déterminé, Frank Buttimer affiche une confiance totale. Le mandat d’arrêt européen lancé par le juge français n’a aucune chance, selon lui, d’être validé par le ministère de la Justice irlandais. "La loi irlandaise est très claire, précise l’avocat. Si le procureur irlandais a décidé qu’un individu ne pouvait pas être traduit en justice en Irlande, cet individu ne peut pas être extradé pour être poursuivi dans un autre pays."

Le fait est que la police s’est cassé les dents sur le cas Bailey et que le procureur a fini par jeter l’éponge. "Parce qu’il n’y a aucune preuve contre lui!"martèle le Dupond-Moretti local au physique de lutin moustachu. A l’écouter, les enquêteurs et le juge français se seraient fait "enfumer" par leurs collègues irlandais ou bien il s’agirait d’un "coup de bluff" pour satisfaire la famille et pour montrer la supériorité du système judiciaire hexagonal. Même par son entremise, impossible de rencontrer Ian Bailey. "Je suis innocent", fait-il répondre. "C’est un homme qui clame son innocence depuis treize ans, rappelle Buttimer. Un homme qui fait de son mieux pour vivre avec ce soupçon permanent. Il est victime d’accusations infondées fondées sur un faux témoignage. Cette affaire a ruiné sa vie."

Bailey à Paris?
Discret, on le croise, paraît-il, le dimanche, au marché de Schull, où il vend son propre pain. Sa compagne, qui ne l’a pas quitté malgré les épreuves et deux épisodes de violence domestique, propose ses peintures à ses côtés. Paysages de landes et rivages plutôt réussis qui sont également exposés au Black Chip, un pub de Schull. Bailey avait ses habitudes au Hacket’s. On l’y croise moins souvent. "Pas facile, soupire un autre habitué. A chaque fois qu’il entre quelque part, les gens murmurent: c’est lui qui…"

"Vous ne trouverez personne pour en dire ouvertement du mal, avait prévenu Shirley, la voisine de Sophie Toscan du Plantier. Ce n’est pas dans la nature des Irlandais." Sous couvert d’anonymat, une habitante de Schull rappelle les "regards intimidateurs" qu’il a longtemps lancés à une femme témoin dans le dossier et qui s’est rétractée depuis. Un autre souligne sa réputation de buveur et d’homme violent. Un troisième sa soif de publicité au début de l’affaire, quand il n’était encore qu’un journaliste (trop) bien renseigné sur les circonstances du meurtre. Ian Bailey un jour à Paris entre deux gendarmes? Lui et sa compagne s’y sont rendus voilà deux ou trois ans. En simples touristes…
Jdd.fr

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