mercredi 26 mai 2010

Dans les crochets de la veuve noire

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Les amis de Simon avaient tiqué, en septembre 2002, lorsqu'il avait épousé cette Maud. Il avait 75 ans, elle, trente-deux de moins. Onze mois plus tard, mi-août 2003, Maud a appelé Claude, un des amis de Simon, pour lui annoncer la mort du vieil homme, renversé à Bagnères-de-Bigorre (Hautes-Pyrénées), début juillet, par un automobiliste aveuglé par le soleil. Elle avait fait incinérer le corps, dispersé les cendres dans la Saône, sans avertir personne. «Elle m'a demandé de transmettre l'information», dit Claude. Il a alerté les copains, l'un d'eux a prévenu la police.

Les enquêteurs ont d'abord découvert qu'il n'y avait jamais eu d'accident mortel, début juillet, à Bagnères-de-Bigorre. Simon Jochimec était mort le 12 juillet, près de Valladolid en Espagne, renversé par une voiture. Sa veuve, en outre, ne s'appelait pas Maud mais Dominique Louis. Une ancienne collègue des policiers, devenue call-girl. Elle avait un amant, Jean-Claude Vaze, 57 ans, qui se trouvait dans la région à l'époque. Tous deux, depuis, sont soupçonnés d'avoir planifié l'assassinat de Simon Jochimec, pour hériter de 6 millions d'euros.

Une passion sans limite

Dominique et Jean-Claude se connaissent depuis 1980. Elle avait 22 ans, était mariée à Nantes où elle travaillait au Trésor. Il en avait 35, était ouvrier dans le Jura et entraîneur d'athlétisme, ce qui lui avait permis de rencontrer son épouse, Michèle, soeur aînée de Dominique. Petit et brun, trapu et pas très beau, Jean-Claude séduit Dominique dès la première visite de la cadette à sa grande soeur. Elle rentre à Nantes transformée, selon son mari de l'époque, demande le divorce et s'installe à Dôle, chez Michèle et Jean-Claude.

Elle y passe plusieurs mois, travaillant comme secrétaire médicale, puis réussit le concours de gardienne de la paix et se retrouve, en 1982, à Sainte-Foy-lès-Lyon, chic banlieue lyonnaise. Sa liaison avec Jean-Claude Vaze se poursuit, clandestine, bien qu'ils aient un fils, Olivier, en 1986. Ce n'est qu'au début des années 90 que Jean-Claude quitte Michèle pour sa soeur. Scandale dans la famille Louis, Dominique est rejetée par tous.

Elle travaille alors au commissariat de La Mulatière, au sud de Lyon. Mais avec Jean-Claude, ils mènent grand train et la policière croule sous les dettes. Après un redressement judiciaire civil, en 1993, elle commence à se prostituer. Sous le pseudonyme de Maud, elle passe des petites annonces et propose des soirées coquines à des messieurs fortunés de «plus de 40 ans». Grande (1m78), blonde, bien éduquée, elle a de l'allure, une voix charmante. Les enquêteurs retrouveront, dans un calepin de 1995, des dates, des sommes, et les noms des clients. Parmi eux, un policier de la DST et un haut magistrat Ñ ce qui fera jaser dans les couloirs du tribunal.

Pendant que Maud se prostitue, Jean-Claude s'installe en Espagne avec leur fils. Il achète des 4x4 et les revend en France, où il touche le RMI. Elle multiplie les allers-retours entre Alicante et Lyon, puis l'Inspection générale de la police nationale découvre les activités annexes de Dominique Louis. Contrainte de démissionner en 1994, elle continue d'exercer comme call-girl, et gagne bien mieux sa vie sans uniforme. Sur le calepin de 1995, certains noms de clients sont accompagnés d'annotations troublantes. Pour l'un d'eux, il est précisé : «Juif». Pour deux autres : «Héritage 1», «Héritage 2». Dominique Louis affirme qu'elle ne sait de quoi il retourne : le calepin est rédigé de la main de l'amant. Celui-ci affirme qu'il s'est contenté de recopier un carnet de sa maîtresse.

L'un des clients signalé «Héritage» se fait appeler Robby. Il a un oncle richissime et malade, dont il se pense l'unique héritier. Il se confie à Maud, qui devient assidue auprès de lui à partir de 1996. En 2001, le tonton meurt en léguant toute sa fortune à l'Etat d'Israël : Maud délaisse brutalement le neveu.

Robby l'a auparavant introduite dans son cercle de bridge et son club de tennis. Il l'a présentée à de nombreux amis, dont certains sont devenus des clients de Dominique. Ainsi, Simon Jochimec, qui a alors 74 ans. Fils d'une commerçante d'origine russe qui tenait le Palais du bas, jolie boutique d'un passage couvert lyonnais, Simon vient d'hériter, en janvier 2001. Jusqu'au bout, il s'est occupé de cette mère possessive. Il en parle à «Maud». Naïf et généreux, il tombe «amoureux de cette femme», selon Claude, l'ami à qui Dominique Louis téléphonera, en août 2003, pour annoncer tardivement le décès de son époux.

Mariage en catimini et villa en Espagne

Simon et Dominique se marient en catimini, le 6 septembre 2002. Elle recrute comme témoins le vendeur d'un appartement qu'elle vient d'acheter, et un marchand de journaux de son quartier. Trois jours après, elle a procuration sur les comptes de Simon, bientôt transférés sur un compte commun en Suisse. 800 000 euros sont ensuite virés en Espagne, où le couple Jochimec achète une grande villa à Santa Pola, près d'Alicante. Simon n'y mettra jamais les pieds. Jean-Claude Vaze s'y installe, et paie les travaux avec une carte bleue au nom de Simon Jochimec. Le mari connaît-il l'existence de Jean-Claude Vaze et d'Olivier ? Dominique Louis répond que le mari sait qu'elle a un fils, dont il préfère ne pas encombrer ses vieux jours. Olivier apprendra par les enquêteurs que sa mère était mariée à Simon Jochimec.

Celui-ci meurt, donc, le 12 juillet 2003, à Villalar de los Comuneros. Percuté sur le bas-côté d'une route peu fréquentée. Dominique expliquera à la guardia civil qu'ils allaient de Tordesillas à Zamora, qu'il y a eu une anomalie au niveau d'une roue, Simon est descendu, elle n'a rien entendu, seulement vu passer un 4x4. Les policiers espagnols tiquent car les roues n'ont aucun défaut, la route est rectiligne, et le sol ne témoigne d'aucune trace de freinage. Ils conservent le pantalon de Simon, sur lequel un large pneu a laissé son empreinte. Puis autorisent Dominique Louis à faire incinérer le corps, trois jours après l'accident. La veuve rentre en France le jour même. La police judiciaire se met sur l'affaire le 19 août 2003.

Rapidement, les amants sont placés sur écoute. Ils se montrent prudents, mais Jean-Claude Vaze conseille à sa maîtresse de prendre une «intonation triste», lorsqu'elle évoque Simon. Et Dominique se lâche un jour, au cours d'une dispute. Elle commence à dire à Jean-Claude qu'ils ont «fait ça ensemble pour en arriver là». Il coupe court : «Moins tu parles, mieux je préfère.» Dominique est arrêtée le 20 janvier 2004, Jean-Claude, trois jours plus tard.

Lors d'une perquisition, les policiers découvrent que l'amant a été marié une première fois avant la soeur de Dominique. Il a épousé une certaine Suzanne, en septembre 1968. Elle est morte treize mois plus tard, avec son petit frère, dans un accident de voiture. Jean-Claude Vaze était au volant. Il aurait perdu le contrôle, et plongé dans le Doubs. Une information a été ouverte pour homicide involontaire, mais l'affaire a été classée, et le dossier s'est perdu. Le magistrat qui s'en occupait ne se souvient de rien.

Isabelle Damiano, avocate de Jean-Claude Vaze, dénonce tout rapprochement entre les deux affaires. «Mon client, dit-elle, est très affecté qu'on puisse imaginer qu'il a tué sa première épouse. Il était très amoureux et cela reste une blessure profonde. En outre, le père de Suzanne dirigeait la brigade de recherche locale de la gendarmerie. L'enquête a été menée de fond en comble.» Devant les enquêteurs, la mère, aujourd'hui veuve, a seulement témoigné que son gendre semblait amoureux, et sa fille heureuse.

Au début de leur incarcération, Dominique et Jean-Claude restent solidaires. Elle lui envoie des dessins, des petits mots, lui promet qu'il fêtera ses 60 ans à Las Vegas. Mais le 13 janvier 2005, Jean-Claude demande au juge de faire expertiser les pneus de la voiture de Dominique. Selon lui, elle a peut-être renversé accidentellement son mari. Trahie, la maîtresse se met à table.

Elle raconte d'abord que Jean-Claude Vaze l'a contrainte à se prostituer. Alors qu'ils étaient endettés, il aurait pris une assurance-vie, et serait parti plusieurs fois de la maison en disant qu'il allait marcher sur une route pour se faire écraser afin qu'elle touche la prime. Elle aurait accepté de se prostituer. Une ancienne maîtresse de Vaze a par ailleurs confié aux enquêteurs qu'elle aussi avait été poussée à se prostituer occasionnellement, via des petites annonces. L'amant répond qu'il n'a jamais forcé personne à se vendre.

Enfin, le 18 mars 2005, Dominique Louis confie au juge sa dernière version sur la mort de Simon. Selon elle, Jean-Claude est venu les chercher à leur hôtel, le 12 juillet, pour les guider vers Zamora. Ils auraient suivi son 4x4, puis Jean-Claude se serait rangé sur le bas-côté, pour proposer à Simon de finir la route avec lui, afin de discuter. Le vieil homme serait descendu de la 406, Dominique aurait démarré, et aurait vu quelques secondes plus tard, dans son rétroviseur, le corps de son mari qui volait devant le 4x4. Pour toute explication, Jean-Claude lui aurait dit qu'il ne supportait plus sa liaison avec Simon.

«Dur en psychologie mais nul au lit»

Depuis la demande d'expertise de la 406, la défense de Dominique Louis dépeint un Jean-Claude Vaze tyrannique, tenant sa maîtresse sous contrôle. Les avocats de Jean-Claude Vaze répondent que la veuve est une séductrice, une manipulatrice. Les amants se déchirent, s'injurient copieusement à chaque passage devant le juge. «C'est un dur en psychologie, mais un nul au lit», jette un jour Dominique. Jean-Claude, de son côté, impose une confrontation en présence de leur fils, dont il conteste le témoignage. Car Olivier a affirmé aux policiers que la veille et l'avant-veille de la mort de Simon, il avait sillonné avec son père les routes entre Tordesillas et Zamora, comme pour une reconnaissance. Quelques jours plus tard, le fils avait remarqué un choc sur le capot du 4x4 du père, qui avait fait changer les quatre pneus, pourtant récents. Les policiers français ont retrouvé l'ancien modèle, dont l'empreinte correspond à la trace sur le pantalon de Simon.

La justice soupçonne les deux amants d'avoir préparé ensemble, «de longue haleine», l'assassinat de Simon. Le juge d'instruction Dominique Brault a renvoyé Jean-Claude Vaze devant la cour d'assises pour assassinat, et son ex-maîtresse pour complicité. L'avocate de l'amant a fait appel, tout comme Frédéric Doyez et Yves Sauvayre, les défenseurs de Dominique Louis. La chambre de l'instruction examinera ce dossier le 10 octobre, pour confirmer ou non le renvoi aux assises. En attendant, même si elle ne joue plus au bridge, Dominique Louis conserve les attentions de certains de ses anciens clients. Ils lui rendent visite au parloir, appellent les assistantes sociales pour s'assurer qu'elle ne manque de rien. Même Robby, délaissé pour Simon, a demandé un permis de visite. Il voulait lui apporter son «soutien moral». A défaut d'héritage.
Libération
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