Lucien Léger se prenait pour un génie du crime parti à la conquête de Paris qui le consacrerait vedette. Pour parvenir en haut de l’affiche, il enleva Luc Taron, un petit garçon de 11 ans.
C’était mardi 26 mai 1964, vers 18 heures, dans le VIIIe arrondissement. L’enfant étranglé fut découvert le lendemain dans les bois de Verrières, en Seine-et-Oise. Courant juin, son ravisseur expédia cinquante-six lettres aux Taron, aux policiers, à la presse, au ministre de l’Intérieur, et même à Scotland Yard. Menaces délirantes, et toujours cette signature : « L’étrangleur N°1. » De tous, il se joua pendant quarante jours. Y compris d’un journaliste de France-Soir, qui accueillit à la rédaction « un petit homme à l’air timide » ; Jacques Granier apprit plus tard qu’il avait serré la main de l’assassin. Dimanche 5 juillet, enfin, Lucien Léger fut arrêté. Le 3 mai 1966, son procès s’ouvrit à Versailles. La foule le frappa, faillit le lyncher. En dépit de l’émotion considérable, il échappa à la peine capitale. Condamné à perpétuité, il était en 2005 le détenu ayant passé le plus de temps en prison – quarante et un ans. Libéré le 3 octobre, il est mort en juillet 2008.
Ce fut une tragédie, particulièrement pour Suzanne Taron, la maman de Luc, qui jamais ne se remit d’avoir réprimandé son enfant ce mardi soir de mai 1964. Le garçonnet venait de terminer ses devoirs lorsqu’elle constata que Luc avait volé 15 francs dans son porte-monnaie. L’enfant, puni, s’enfuit de la maison située 18, rue de Naples, dans le VIIIe arrondissement parisien. Un camarade l’aperçut un quart d’heure plus tard rue du Rocher et, vers 18 heures, il disparut à hauteur de la station de métro Villiers. Ses parents songèrent à une fugue : il y avait eu un précédent. Ils ne prévinrent la police que le lendemain matin.
Selon le récit d’Yves Taron, rapporté par France-Soir, il part seul à la recherche de son fils. « A mon retour, à 23 heures, Luc n’était toujours pas rentré. » Avec Suzanne, il veille toute la nuit, puis se résout à signaler sa disparition mercredi 27 mai à 10 h 30. En soirée, il est convoqué à la 1re brigade mobile : « On m’a montré des vêtements que j’ai aussitôt reconnus, c’étaient ceux de mon enfant. » A la morgue, Yves Taron identifie le petit cadavre : Luc a été étranglé vers trois heures du matin. Le corps a été découvert à 5 h 30, au pied d’un chêne en forêt de Verrières, et son blouson, sur la nationale 306.
Mercredi, à 23 h 50, le ravisseur se signale à Europe 1 : « Je téléphone au sujet de l’affaire de Verrières. Allez 3, rue de Marignan. Vous trouverez un message important sur le pare-brise d’une voiture. » Un passant, intrigué par la mention « urgent » qui barre le billet, l’a déjà récupéré. Il a pris soin de noter le numéro d’immatriculation de la 2 CV sous l’essuie-glace de laquelle il était glissé. Son auteur prouve qu’il a tué Luc : « Il avait du mercurochrome sur une jambe, écrit-il, et portait un petit livre illustré relié (histoire de Bugs). Il m’a dit être né le 9 mai 1953 et que son père a une voiture (Ariane). » L’inconnu annonce d’autres rapts et signe « L’étrangleur N°1 ».
C’est la première des lettres de « l’étrangleur » – la presse a supprimé le numéro d’ordre et, sans le savoir, bafoue son orgueil démesuré. Il se déchaîne, promet de nouveaux meurtres, en revendique d’autres, bombarde de pavés les conducteurs sur l’autoroute du Sud, lance des défis aux Taron, regrette de ne pas encore avoir tué « car l’enfant que j’ai choisi est constamment surveillé ». Il réclame de l’argent : « C’est France-Soir qui paiera 50 millions. Parole d’étrangleur ! »
Au journal, se présente justement le propriétaire de la 2 CV sur laquelle le billet du 27 mai a été trouvé. On la lui a volée, explique-t-il à Jacques Granier. « Je l’ai cherchée, je pensais que c’était une farce. Maintenant, je suis sûr que c’est l’étrangleur qui l’a utilisée.
Jacques Granier relatera plus tard leur rencontre, décrivant ainsi son visiteur : « Petit homme à l’air timide, complet de tergal gris clair, cravate rouge foncé retenue par une pince, lunettes à verres fumés cachant son regard, ainsi m’apparut l’infirmier meurtrier […] Puis il me tendit une main. Elle était molle, morte. »
L’histoire de la 2 CV va signer sa perte. Puisque la presse n’écrit pas une ligne sur le vol de sa voiture, il s’adresse aux policiers. Dans sa missive, il prétend que « l’étrangleur » a emprunté l’auto pour transporter le cadavre d’un truand abattu à Pigalle. Il signe Lucien Léger. Son écriture le confond. C’est la 56e lettre de l’assassin délirant. Ce sera la dernière. Il est arrêté dimanche 5 juillet 1964. Les Français découvrent son passé, sa personnalité. Fils d’ouvrier, Léger a six frères et sœurs. Il a effectué son service militaire en Algérie, il est marié à Solange, la sœur d’un ami. Neurasthénique, elle a été plusieurs fois internée. Magasinier, il est devenu infirmier psychiatrique pour tenter de comprendre son épouse. Léger n’a que 27 ans ! L’opinion publique voit en lui un monstre irrécupérable qui doit être mené droit à l’échafaud. Son procès s’ouvre à la cour d’assises de Versailles, mardi 3 mai 1966, dans une atmosphère d’hystérie collective. Les parents de Luc réclament la peine de mort. Lucien Léger, lui, est revenu sur ses aveux : il n’est plus « l’étrangleur » mais un malheureux manipulé par un certain « Henri ». Les jurés auront pitié de sa « folie » et l’enverront en prison à vie.
Lundi 3 octobre 2005, il a été élargi après quatorze demandes de mise en liberté et quarante et un an passés en cellule. Agé de 68 ans, il s’est retiré à Laon, dans l’Aisne, où il s’est éteint en juillet 2008.
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