CONDAMNÉ en première instance par la cour d'assises de Périgueux, à vingt ans de réclusion criminelle, Pascal Labarre, 38 ans, vient d'être acquitté par la cour d'assises d'appel de Bordeaux. Samedi soir, le jury populaire l'a définitivement innocenté du meurtre de Michèle Gillet, 46 ans, retrouvée étranglée en août 1998 sur la terrasse de sa maison à Isles, en Dordogne. Joie dans le box. Intense douleur pour la partie civile, où les proches de la victime, effondrés, ne retenaient pas leurs larmes. Divorcée, haute en couleur, bien connue de ses voisins, la victime avait été frappée à la tête avec un objet contondant. Un seau rempli d'un mélange d'eau et de sang se trouvait à côté d'elle. Entendu par les policiers dans le cadre de l'enquête de voisinage, Pascal Labarre incarne rapidement le coupable idéal : décrit comme « fragile », voire « un peu simplet » par ses proches, il passe des aveux circonstanciés lors de sa garde à vue puis devant le juge d'instruction. Amant de la victime depuis plusieurs mois, il l'aurait tuée dans un « acte de folie », par désespoir amoureux, à l'aide d'un pied de parasol, explique-t-il. Incarcéré dans la foulée, il revient sur ses déclarations en prison et a toujours clamé son innocence depuis lors. La possibilité de faire appel d'une condamnation en cour d'assises a été instaurée par la loi présomption d'innocence du 15 juin 2000. Auparavant, la décision d'une cour d'assises était définitive. Le condamné pouvait seulement réclamer un pourvoi en cassation, en faisant valoir des erreurs de forme et non de fond. Il pouvait également demander une révision de son procès, à la condition de produire un élément nouveau susceptible de modifier la décision. Aucune preuve matérielle Grâce à cette nouvelle loi, la justice vient de donner raison à Pascal Labarre, cinq ans après sa condamnation . Contre le parquet général, représenté par Claude Laplaud, qui réclamait la confirmation de la condamnation infligée en première instance, la justice « populaire » l'a définitivement acquitté. Une manière, pour la cour présidée par Michel Regaldo-Saint-Blancard, de rappeler que les aveux ne sont plus la « reine des preuves ». Une façon, aussi, de sanctionner les insuffisances de l'enquête. A l'issue de l'instruction lancée en 1998, pas le moindre élément matériel. Ni arme du crime ni traces d'ADN, tout est basé sur les aveux de l'accusé. En première instance, la cour d'assises de Périgueux s'en accommode et condamne Pascal Labarre très lourdement. Sixième d'une fratrie de neuf enfants, il va bénéficier du soutien inconditionnel de sa famille, modeste mais très soudée. Grâce à une collecte de fonds, ses proches peuvent s'offrir les services de l'association Action-Justice, spécialisée dans les contre-enquêtes criminelles. Les conclusions de l'association, versées aux débats devant les assises d'appel de Bordeaux, éclairent d'un jour nouveau le dossier et le doute finit par profiter à l'accusé. La partie civile effondrée Acquitté dans la soirée de samedi, Pascal a retrouvé immédiatement la liberté. Il était dès hier au chevet de sa mère qu'il n'avait pas revue depuis trois ans et qui est hospitalisée à Périgueux dans un état très fragile. « Toute cette affaire l'a énormément affectée. C'est très important pour elle de revoir son fils libre et innocent », murmure Monique, la soeur de Pascal. Président de l'association Action-Justice, Roland Agret était cité comme témoin par la défense de l'accusé. Au troisième jour d'audience, à la barre de la cour d'assises de Bordeaux, cet infatigable sexagénaire est venu mettre en garde les jurés contre le risque d'une erreur judiciaire. En 1970, lui-même avait été condamné à quinze ans de réclusion criminelle, avant de bénéficier, sept ans plus tard, de la grâce présidentielle de Valéry Giscard d'Estaing. En 1984, après une série d'actions spectaculaires, Roland Agret finit par obtenir la révision de son procès et son acquittement définitif par la cour d'assises de Lyon. Se présentant comme « une plaie vivante inguérissable », il est devenu le symbole de l'erreur judiciaire qui, selon lui, concerne « au moins 10 % de la population carcérale ». Du côté de la partie civile, l'émotion était tout autre : « J'ai donné dix ans de ma vie pour rien », regrettait hier la belle-soeur de la victime, très affectée par l'acquittement de Pascal Labarre. « On ne peut pas faire le deuil quand on ne sait pas qui est l'assassin, poursuit-elle. Dans tous les cas, le coupable est dans la nature. »
Le Parisien
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