jeudi 24 juin 2010

Au procès Kerviel, le casino contre l'épicerie

C'était l'heure des plaidoiries des parties civiles ce mercredi. La Société Générale réclame à son ex-trader la somme surréaliste de 4,9 milliards d'euros de dommages et intérêts. Les petits actionnaires, eux aussi floués par la fraude, en veulent plutôt à la banque. Compte-rendu.
Il aurait pu demander plus. Ou moins. Il a pensé à l'euro symbolique, dit-il à la barre. Maître Jean Veil, l'avocat de la Société Générale a finalement préféré demander à Jérôme Kerviel 4,9 milliards d'euros de dommages et intérêts. Une somme surréaliste qui correspond exactement à celle qui a été perdue lors du débouclage des positions qu'avait prises l'ancien trader, en janvier 2008, après que sa fraude avait été découverte. Evidemment, Jérôme Kerviel ne paiera pas cette somme. Mais en exprimant cette demande, l'avocat de la Société Générale veut souligner "le préjudice inqualifiable" subi par la banque, qui aurait pu, selon lui, déposer le bilan si la fraude avait été découverte quelques mois plus tard.

Assis à sa droite, sur une chaise ordinaire qui au fil des jours du procès est pour lui de plus en plus inconfortable, "JK" garde le visage fermé. Il encaisse. Les coups bas, quand Jean Veil évoque sa "médiocrité", sa "banalité", son "incapacité à exprimer des émotions" et quand il va fouiller dans un rapport psychologique qui considérait pourtant l'ex-trader comme quelqu'un de "normal". Les insultes, quand il le qualifie de "menteur, faussaire, truqueur" et qu'il laisse cette petite phrase en suspens : "il n'est pas fou, j'en conviens, puisqu'un expert le dit. Mais enfin...". Les moqueries, quand il déplore l'incapacité de Jérôme Kerviel à faire évoluer son discours durant le procès, mais se félicite de "ses progrès dans l'expression" lorsqu'il prend la parole. Ce mercredi, réservé aux plaidoiries des parties civiles, il ne la prendra pas. Ce n'est donc pas son avocat, Me Metzner, qui carbure à coups de Perrier, qui viendra à son secours, mais, ceux des actionnaires de la Société Générale, défendus par un trio d'où émerge Maître Daniel Richard.

Ce dernier défend avec une pléthore de bons mots ces "gens ordinaires" qui ont perdu les deux tiers de leur épargne salariale, et fait le procès des "années fric de Daniel Bouton", de la "banque casino" où les rémunérations se comptent en millions, opposée à la "banque épicerie" dont se gaussent les salles de marché. Ces dernières étaient "en surchauffe, un plomb a disjoncté, c'était Kerviel mais cela aurait pu être un autre. Et ce le sera peut-être demain". Maître Frédérik Karel-Canoy embraye à la barre et résume : "Le dindon de la farce, c'est quand même l'actionnaire. La Société Générale est responsable des agissements de son salarié, elle avait un devoir de contrôle". Il lui réclame 92 euros par action détenue par ses clients, plus 10 euros par action au titre du préjudice moral. Plus 2000 euros. A peu près 100.000 euros au total.

Des milliards d'un côté, des dizaines de milliers d'euros de l'autre. Jusque dans les demandes de dommages et intérêts, deux mondes se sont affrontés ce jeudi devant la 11e chambre du tribunal correctionnel de Paris. Deux conceptions aussi du rôle de la Société Générale. Victime absolue, abusée par un menteur et un dissimulateur? C'est la thèse de la banque. Ou complice, responsable, au moins par sa passivité et son incapacité à détecter rapidement la fraude? C'est celle des petits actionnaires, pas si éloignée de celle qui, dépuis le début, guide la stratégie de la défense. Le juge tranchera après le réquisitoire, ce jeudi, et les plaidoiries de la défense, ce vendredi. Maître Richard rappelle, pour le guider, que la Société Générale a déjà été condamnée, dès juillet 2008, par la commission bancaire, à 4 millions d'euros d'amende pour "carences graves".
http://www.lexpansion.com/economie/actualite-entreprise/au-proces-kerviel-le-casino-contre-l-epicerie_234528.html#xtor=AL-189

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