mercredi 21 juillet 2010

"C'est justement parce qu'il la sent naïve et crédule qu'il se sert d'elle..."

L'histoire est singulière. De dos, madame G., de petite taille, exhibe une épaisse chevelure rousse. Cette femme d'une cinquantaine d'années, salariée d'une compagnie d'assurances depuis 40 ans, élevant seule ses deux enfants et ses deux neveux orphelins, se retrouve - à son insu ? - sur le banc des accusés à la 13e chambre du tribunal correctionnel de Paris.

Son compte bancaire a servi à détourner plusieurs chèques interceptés dans le circuit postal par son compagnon, qui a ensuite falsifié le nom du bénéficiaire devenu madame G. Celle-ci s'est alors retrouvée créditrice de la rondelette somme de 8.300 euros, un petit "cadeau" de son ami de 20 ans plus jeune qu'elle, en "remerciement" de tout ce qu'elle a fait pour lui. Sauf que, quelques jours plus tard, il l'a "incitée" à faire des retraits d'espèces pour acquérir divers objets. Le jeune homme s'est ensuite volatilisé sans laisser d'adresse.


- Comment, après quatre ans de relations amoureuses, croire à une telle naïveté ? s'étonne la présidente. Après toutes ces années d'intimité partagée, vous ne connaissez ni son adresse, ni sa profession, ni même la véritable identité de ce dénommé Fabrice ?

Silence. Madame G. expliquera plus tard : "Je n'ai rien vu, je ne consultais pas mes comptes et ne me suis aperçue de rien."

La présidente rappelle à la prévenue que le fait d'encaisser les sommes frauduleusement détournées est passible de cinq ans de prison. En théorie, bien sûr. Car madame G. a un casier vierge et un statut social peu compatible avec une peine privative de liberté.

D'ailleurs, la procureur reste sobre. Elle s'en tient à une peine de trois mois avec sursis, sanctionnant la complicité intellectuelle de madame G. Un argument que l'avocate va s'efforcer de retourner subtilement.

"Il faut se mettre à sa place, madame la présidente, commence-t-elle, d'un ton bienveillant. Ma cliente est divorcée, elle n'a pas la vie facile avec quatre enfants à charge. Puis elle rencontre cet homme de 30 ans, d'origine noire..."

L'avocate se déplace dans la salle, tantôt vers la gauche, s'adressant à la procureur, tantôt vers la droite, fixant une à une les magistrates composant le tribunal.

Et de poursuivre : "Il est beaucoup plus jeune qu'elle, elle n'ose pas s'afficher avec lui. Ils se voient épisodiquement, mais cela la rend heureuse. Mesdames du tribunal, ma cliente ne se pose pas de question. Elle fréquente Fabrice et pas monsieur X, usurpateur d'identité et délinquant à ses heures. Et ce Fabrice se montre attentif et délicat. C'est tout ce qui compte pour elle. Elle ne se pose aucune question à son sujet. Et pourquoi, d'ailleurs, s'en poser ? Qui s'en poserait ? Fabrice ne lui demande rien. D'ailleurs, elle n'a pas grand-chose à lui donner... "

Après une parenthèse de silence, laissant aux magistrates le temps de peser la valeur de ces explications, l'avocate poursuit. "Et lorsqu'il dépose cet argent sur son compte, il lui dit : Je vais t'aider. Cela n'éveille aucun soupçon de sa part. Après tout, il lui doit beaucoup, elle l'héberge parfois, lui offre des cadeaux et paie son abonnement de téléphone. Il n'y a rien de très étrange dans le fait qu'il dépose de l'argent sur son compte. Et puis, lorsqu'il lui demandera de retirer des espèces, elle les lui donnera. Après tout, ce n'est pas son argent ! Qu'y a-t-il d'anormal dans tous ces gestes et attitudes d'une femme amoureuse ?

La présidente observe la prévenue, l'air presque compatissant.

"Madame la présidente, ajoute l'avocate, c'est justement parce qu'il la sent naïve et crédule qu'il se sert d'elle pour masquer sa fraude. Il savait très bien qu'elle n'allait pas contrôler l'origine des chèques !"

Conclusion sans faille au terme d'une démonstration sans fissure.

"Faute d'avoir été animée d'une quelconque intention frauduleuse, ma cliente n'est pas coupable de l'infraction qui lui est reprochée", tranche l'avocate d'une voix grave.

S'adressant à madame G. :

- "Avez-vous quelque chose à ajouter, demande la présidente.

- Oui, dire que je suis sincère et que je l'ai toujours été."

Sincérité récompensée ou marque d'indulgence féminine ? Madame G. sera relaxée.
http://www.lepoint.fr/chroniques-ete-carnets-justice/c-est-justement-parce-qu-il-la-sent-naive-et-credule-qu-il-se-sert-d-elle-20-07-2010-1216502_195.php

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