mardi 13 juillet 2010

"J'vous jure, Madame, j'ai pas brûlé de voiture !"

En cet après-midi ensoleillé du mois de juillet, Monsieur B. nourrit d'autres rêves que celui de passer l'épreuve de vérité devant un tribunal hostile. D'autant plus qu'il nie être l'auteur de l'incendie de voiture qui lui est reproché, infraction passible de 10 ans de prison et de 15.000 euros d'amende. Cet homme d'une trentaine d'années a été arrêté, ivre, un briquet dans la poche, à proximité d'une voiture en feu. Reconnu le lendemain par deux témoins lors d'un tapissage (identification d'un suspect par des témoins protégés par une glace sans tain), il dément l'accusation.




Tandis que la présidente de la 23e chambre du Tribunal correctionnel de Paris relate les circonstances dans lesquelles les flammes se sont propagées, manquant d'embrasser l'immeuble voisin, l'avocate du prévenu lui souffle quelques mots à l'oreille.





- Comment expliquez-vous que les deux témoins vous aient formellement reconnu ? demande la présidente.

- J'vous jure Madame la présidente ! C'est pas moi, j'vous jure !

- Comment expliquez-vous alors que lorsque les policiers vous ont interpellé, vous aviez un briquet avec vous ?

- Madame la présidente, j'ai pas brûlé de voiture, j'ai toujours un briquet sur moi, j'vous jure...

Au-dessus des trois femmes du tribunal, une autre femme, le regard détaché, tenant à la main une balance en équilibre, veille sur l'audience. Cette fresque symbolise Thémis, déesse de la justice, gardienne du Temple intemporel de l'Equité.

- Vous avez pourtant refusé de souffler dans l'éthylomètre, poursuit la présidente.

Pas de réponse.

La présidente lit des extraits du portrait psychologique du prévenu, benjamin d'une fratrie de 10 enfants, père de deux enfants dont un n'a jamais été reconnu : "aucune pathologie névrotique ni psychiatrique. État anxio-dépressif modéré. Fragile".

Impatiente et agacée, l'avocate de la défense se balance d'un pied sur l'autre tout en tournant les pages de son dossier.

Le casier judiciaire de Monsieur B. ne plaide pas en sa faveur. Y figurent plusieurs séjours en prison pour vol, viol en réunion et agressions diverses.

L'homme s'accroche à chaque parole de la magistrate, attentif et nerveux.

Un orage se prépare, le ciel s'assombrit et une bouffée d'air balaye la salle.

L'avocat des copropriétaires de l'immeuble endommagé par les flammes se lève et se contente de demander 8.000 euros de dommages et intérêts.

- La compagnie d'assurance de l'immeuble couvre-t-elle le sinistre, Maître ?

- Je ne saurais vous répondre Madame la présidente...

Silence.

Au terme d'un réquisitoire sévère n'épargnant aucun détail sur les intentions malveillantes de l'incendiaire présumé, la représentante du parquet demande 18 mois d'emprisonnement. Une fermeté voulue par la politique pénale rigoureuse édictée par le garde des Sceaux à l'égard de ce type d'infraction, dont les auteurs sont systématiquement déférés au parquet.

La défense a la partie dure. L'avocate s'engouffre dans la brèche du doute tout en attaquant.

- Les officiers de police procèdent à un tapissage avec deux témoins le lendemain des faits et pas dans les minutes qui suivent ? Ce n'est pas sérieux, Madame la Présidente ! Comment voulez-vous qu'ils se souviennent précisément de la façon dont Monsieur B. était habillé ? Ils étaient en étage élevé, d'où l'on ne peut distinguer ni la couleur d'une chemise ni la forme d'un pantalon ! A cette époque de l'année, 90 % des hommes portent un bermuda gris et une chemise beige ! Et ce n'est pas parce qu'on a un briquet à la main que l'on vient de mettre le feu à une voiture !

Après quelques secondes de silence, l'avocate reprend sur un ton calme et désabusé, prenant à partie le tribunal : "Mesdames du tribunal, réfléchissons, pourquoi mon client, qui travaille dans une société de nettoyage et qui n'a aucune raison de s'en prendre à la terre entière, se rendrait-il coupable d'une infraction aussi gratuite et misérable ?..."

Le tonnerre étouffe la fin de la plaidoirie tendant à la relaxe.

Partie perdue. Monsieur B., finalement condamné à un an de prison ferme, rejoindra sa cellule à l'issue de l'audience.
http://www.lepoint.fr/chroniqueurs-du-point/laurence-neuer/j-vous-jure-madame-j-ai-pas-brule-de-voiture-13-07-2010-1214156_56.php

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