vendredi 20 août 2010

"J'ai six enfants à nourrir et des factures à payer, la vie c'est pas comme dans les livres"

Un ambulancier accusé de trafic de drogue, ça fait désordre. Les policiers ont retrouvé chez lui quatre kilos de cannabis mais aussi de l'ecstasy et des bijoux, probablement volés. Il est jugé par le tribunal correctionnel de Paris selon la procédure rapide des "comparutions immédiates".

- "J'ai six enfants à nourrir, Madame la présidente, je gagne même pas 1.300 euros par mois, vous savez, la vie est chère à Paris, se défend l'homme.

- Vous vous rajoutez des difficultés, rétorque la présidente. À sept enfants, vous passerez au trafic de cocaïne, et à huit, vous vendrez de l'héroïne si on suit votre logique ?

- Je me suis endetté, la machine à laver qui tombe en panne, des vêtements pour mes enfants, j'ai pris des crédits, la vie, en vrai, c'est pas comme dans les livres, Madame la présidente..."

Les magistrats esquissent un rictus avant de reprendre leur masque de circonstance.

- "Comment conciliez-vous une vie d'ambulancier avec les petits trafics de nuit ? C'est dans les "after" que vous trouviez votre clientèle, en tout on dénombre 21 clients !

- J'ai pas recruté, j'ai vendu aux amis de mes amis...

- Vous avez déjà été poursuivi pour des faits similaires, c'est pour cela que vous avez acheté un téléphone à un autre nom. Combien ça vous rapportait ce petit jeu ?

- 500 euros par mois..."

Deux femmes au visage terreux et à l'expression revêche viennent de s'asseoir dans le box. L'une baisse la tête et manque de s'assoupir.

La procureure énonce les 12 condamnations du prévenu, "trafiquant chevronné qui tire de son trafic des revenus confortables". Il risque quatre ans de prison en application de la loi sur la récidive. "Sa seule chance, poursuit la magistrate, ce sont ses enfants. Le temps de détention doit être pour lui un temps de réflexion et ne doit donc pas excéder le minimum légal (...)".

L'avocate a la tâche difficile.

- "L'année 2010 a été particulièrement rude à l'égard des trafiquants de drogue. Un jeune de 29 ans a encore été condamné à six ans de prison pour avoir détenu deux kilos de cannabis. Mais ici, Madame la présidente, on ne parle pas d'arme lourde ni de saisie record de stupéfiants, s'agace l'avocate. Oui ! ce qu'a fait mon client est inexcusable ! Je vous l'accorde. Et il est le premier à en être parfaitement conscient. Mais son acte est explicable. Il faut savoir que Monsieur G. est toxicomane, suivi par un psychothérapeute. Le lot quotidien de sa cité, ce sont les violences et les viols. Lui, c'est dans la drogue qu'il trouve refuge. Chaque jour, il doit affronter de nouveaux défis, acheter une paire de chaussures à son fils, remplacer un appareil électroménager pour sa femme. C'est un homme fier qui veut assumer ses responsabilités de père de famille (...). La justice n'est pas seulement là pour punir, elle a aussi une vertu pédagogique. La peine plancher est beaucoup trop rigoureuse pour quelqu'un qui a six enfants à élever. Madame le procureur l'a bien dit, ses enfants c'est sa dernière chance... Alors, comme dit Rabelais, le temps mûrit toutes choses. Il faut lui faire crédit pour l'avenir, c'est de soins dont il a besoin pour ne pas s'enfoncer davantage, pas de prison (...).

L'homme fond en larmes et serre sa tête entre ses mains. "Je m'excuse Madame la présidente", sanglote-t-il.

Il sera condamné à quatre ans de prison avec maintien en détention. Jusqu'à son procès en appel que lui conseille son avocate.

Alors qu'il quitte le box, l'air dépité, la présidente demande aux deux femmes de se lever. Elles sont albanaises, prévenues d'avoir acheté du crack avec les produits de leur prostitution...
http://www.lepoint.fr/chroniques-ete-carnets-justice/j-ai-six-enfants-a-nourrir-et-des-factures-a-payer-la-vie-c-est-pas-comme-dans-les-livres-20-08-2010-1226943_195.php

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