lundi 23 août 2010

"Monsieur a de l'argent pour la justice, mais il n'a rien pour ses enfants"

Une fin d'après-midi de juillet au tribunal correctionnel de Paris.

Une femme blonde, la quarantaine élégante, est appelée à la barre. Son ex-concubin, qui manque à l'appel, ne paye plus sa pension alimentaire pour ses deux filles mineures, depuis deux ans. La dette frise les 6.500 euros.

- "Il ne s'est jamais occupé des enfants ! Madame la présidente, lance l'avocate de la mère, il vit à Cannes au soleil pendant que madame assume seule ses deux jumelles de quatre ans !

- Vous n'étiez pas ignorante des difficultés professionnelles de votre mari et du fait que sa déclaration d'impôts mentionnait toujours zéro ! intervient, énervée, l'avocate du père.

- Vous vous exprimerez quand viendra votre tour, maître ! s'agace la présidente.

- Depuis la séparation, il a tout fait pour nuire à ma cliente, poursuit l'avocate. Il dépense son argent dans de multiples procédures et on vient nous dire qu'il survit à peine ! s'offusque-t-elle. Il a eu l'audace de faire appel de la décision du juge aux affaires familiales (JAF) parce qu'il trouvait que 150 euros par enfant, c'était trop, eh bien, qu'a fait la cour d'appel ? Elle a doublé cette somme en fixant la pension à 300 euros par enfant ! Les juges n'ont pas été dupes : l'opacité des ressources de Monsieur R. ne leur a pas échappé. Il a eu plusieurs boutiques et a hérité de son père ! Et qu'a fait Monsieur R. à la suite de cette décision? Il a déposé une nouvelle requête devant le JAF pour demander une révision de la pension alimentaire sur la base d'"éléments nouveaux" ! Visiblement, Monsieur R. a de l'argent pour la justice et pour nuire à la mère de ses enfants, mais il n'a rien du tout pour ses enfants..."

Revenant vers le pupitre où est étalé son dossier, l'avocate poursuit : "On a eu beaucoup de mal à obtenir sa déclaration de succession. Finalement, on l'a eue il y a un mois seulement, parce qu'il savait que cela pourrait jouer contre lui aujourd'hui. 230.000 euros : c'est la somme qu'il a reçue par donation-partage. Je vous laisse apprécier, madame la présidente..."

Pendant que l'avocate détaille la surface financière de la partie adverse, la salle observe un silence de cathédrale.

- "On l'aura compris, ce père manifeste un intérêt affectif marginal pour ses deux dernières filles."

La procureure, convaincue de l'intention coupable de Monsieur R. "qui ne justifie pas de son infortune", demande quatre mois de prison avec sursis et une amende de 200 euros.

L'avocate de Monsieur R. ne se laisse pas démonter. Au contraire, avec un aplomb non pondéré, elle se lance, s'adressant d'abord à la plaignante :

"Vous le savez bien, madame, vous me connaissez bien, vous savez que je suis une vieille relation de votre ex-mari et que celui-ci ne me verse aucun euro d'honoraire !" Se tournant vers la présidente : "Mon client n'a plus de société, son fonds de commerce a été liquidé. Toutes les déclarations fiscales l'attestent : néant. Vous n'en doutez pas, il a ensuite traversé une période d'abattement moral majorée par le fait que son épouse ne travaillait pas. Honte pour lui, il s'est fait héberger par sa mère pendant six mois. Maintenant, il vit à Cannes où, grâce à la famille de madame, il occupe gratuitement un appartement de 50 mètres carrés. Donc, arrêtez de fantasmer sur la Riviera, le soleil et la belle vie! On peut manger des sandwichs aussi sur la Côte d'Azur...

Après quelques secondes de silence : "Oui, c'est vrai, il a obtenu 230.000 euros d'une succession, mais soyons réalistes. Il perçoit une retraite misérable de 100 euros par mois. Le reste, il l'a placé et ça lui rapporte 500 euros par mois. Aujourd'hui, madame s'étonne de son impécuniosité. Mais elle l'a toujours connu fauché ! Alors, maintenant, tout retombe sur cet homme qui a accepté d'assumer le désir tardif de maternité de madame, enceinte à 44 ans grâce à un coup de pouce de la médecine. Mais, lui, il en avait 60, il était déjà père de deux grands enfants. Il a simplement voulu lui faire plaisir et voilà le résultat : elle le poursuit devant votre tribunal."

L'avocate jette un oeil sur ses notes et ajoute : "Depuis la naissance des deux petites, leur vie a changé. Madame avait un très bon poste dans une boutique de luxe et a tout arrêté pour élever ses deux filles. En outre, la famille très matriarcale de madame s'est incrustée dans le couple et mon client s'est senti totalement dépossédé, rejeté et étouffé." Et de conclure, en s'approchant de la présidente : "Monsieur propose de verser à madame un acompte de 1.000 euros. Il versera le solde le jour de l'audience du JAF qui révisera le montant de la pension fin septembre. En conséquence de quoi, je vous demanderai une dispense de peine."

L'audience est suspendue. Les enfants se défoulent dans le couloir. Les avocats parlent à voix basse à leurs clients anxieux.

Le verdict tombe. Monsieur R est condamné à quatre mois de prison avec sursis, à 1.000 euros de dommages et intérêts et à 800 euros au titre des frais d'avocat.

Une fois la porte de la salle d'audience franchie, Madame R. s'empresse d'annoncer la nouvelle par téléphone à ses parents.

À la fin de la journée, vers 21 heures, le tribunal clôturera son 18e dossier.

http://www.lepoint.fr/chroniques-ete-carnets-justice/monsieur-a-de-l-argent-pour-la-justice-mais-il-n-a-rien-pour-ses-enfants-23-08-2010-1227655_195.php

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