samedi 9 octobre 2010

Antonio Ferrara, braqueur impayable

Petit gabarit «d’1,67 mètre sans talonnettes», selon ses mots, Antonio Ferrara, 37 ans, freluquet au nez de pioche, ne ressemble à rien. On a pourtant affaire à un grand séducteur. «Nino» et les nanas, c’est quelque chose ! Mais Nino et les juges, Nino et les flics, Nino et les voyous, Nino et les journalistes, Nino et les avocates, Nino et le public, c’est pareil : tous, visiblement, sont sous le charme. A moitié analphabète, le bandit italien qui a débarqué, à 10 ans, de sa ville natale de Cassino (Latium) dans la cité Gabriel de Choisy-le-Roi (Val-de-Marne) fait toujours autant de fautes de français, mais il ne rate jamais un bon mot et a une sacrée répartie.


«J’ai dit "yabon"»


Cabot certes, mais drôle, Antonio Ferrara tient la vedette à la cour d’assises de Paris (1), qui le juge en appel de sa condamnation à dix-sept ans de réclusion pour son évasion de Fresnes le 12 mars 2003. Il veut bien endosser le rôle de l’évadé - bien obligé - doté d’un talent d’artificier qui fait sauter les barreaux de sa cellule de 9 mètres carrés avec du plastic PEP 500. Mais pas question pour lui d’assumer une complicité de tentatives d’assassinats sur les surveillants visés par des tirs en rafale. Il ne peut pas être au four et au moulin, «le Petit», à doser sa charge d’explosif pour sortir de sa geôle et à artiller en même temps au bazooka sur les miradors ! A l’en croire, il n’a rien initié de ce projet qui, selon son ami corse Doumé Battini, visait à «éblouir les miradors avec des projecteurs, mais ça n’a pas marché». Le plus sérieusement du monde, Antonio Ferrara expliquait à la cour qu’il ignorait tout de ces préparatifs pour le délivrer : «J’étais pas au courant tout en étant le premier concerné.» Personne n’est dupe, mais Nino continue à faire l’innocent : «Vers février 2003, on m’a dit "yabon" ["c’est bon", selon sa traduction, ndlr]. Alors, j’ai dit "yabon". Mais j’ai rien demandé, moi.» En tout cas, «les gens qui sont venus me chercher n’ont pas de sang sur les mains», dit-il de ces anonymes. Les accusés qui se trouvent à ses côtés «n’ont pas pris part» à son évasion, selon ses dires, sauf Doumé Battini, «venu à la fin par amitié». Son avocat de l’époque, Karim Achoui, «n’a rien à voir», dit-il. Il dédouane les complices en interne, les surveillants de Fresnes, à commencer par Hocine Kroziz, pourtant condamné à douze ans de réclusion pour l’avoir aidé à s’évader et lui avoir apporté du matériel. «Deux gardiens ou 2 500, je ne dirai rien», a-t-il averti au précédent procès. Il ne déroge pas à sa règle : ne pas dénoncer les gens. «Je ne les donne pas. Dans la vie, faut rester droit.» Alors que l’ex-maton Kroziz ne se prive pas de charger ses amis, Ferrara le rembarre habilement, sans haine : «C’est pas parce que quelqu’un accuse un autre à tort que c’est vrai aussi.» Kroziz : «Je n’accuse personne.» Ferrara grimace d’un air entendu : «Pardon… met en cause.» L’évadé continue à l’innocenter en racontant des fables qui amusent les jurés : «C’est un pigeon voyageur qui m’a ramené dans ma cellule, au mitard, l’explosif, un téléphone, un détonateur, un papier m’expliquant comment faire.» Plus tard, quand l’oiseau lesté en plus d’un gilet pare-balles revient sur le tapis, l’accusé numéro 1 opine et lance : «Oui, le pigeon voyageur, il était dopé !» La salle se gondole.


«On a chargé la mule»


Toujours poli et jamais irrespectueux, Ferrara, qui sert du «Monsieur le président» ou «Madame l’avocate générale», se moque du monde mais avec gentillesse. Il a la gouaille du voyou à l’ancienne et l’éducation d’une famille italienne tenue par Arturo, marchand ambulant de pizzas, et Helena, femme de ménage devenue chef d’une équipe d’entretien. Dragueur impénitent, Nino lance des œillades appuyées à des jolies filles dans la salle d’audience, glisse des confidences à l’oreille de ses belles avocates, Alexandra et Fanny, et n’hésite pas à nous inviter en mimant le geste de boire un verre. Mais où ? Comment ? Il est interdit d’approcher ce détenu particulièrement surveillé (DPS). Nino Ferrara nous fait signe avec son pouce, en dessous, à la souricière (dans les geôles souterraines du palais de justice), et part d’un éclat de rire. Il a passé le message à toutes ses ex, plutôt girondes, de ne rien dire d’intime. Ainsi, Sophie qui l’a «connu sous le nom de Stéphane» avant juillet 2002 au bar Les caves Saint-Georges à Athis-Mons dit à la cour, prudente : «Il a vécu dans mon appartement quelques nuits. Antonio est avant tout un ami, très sympa, jovial et toujours de bonne humeur.» Et Estelle qui l’a rencontré dans une boîte de nuit à Saint-Raphaël après son évasion de Fresnes n’est pas revenue répéter à ce procès qu’elle l’a «hébergé» dans sa chambre.


«Pudique et réservé» sur sa vie sentimentale, le tombeur ne tient pas à ce que sa copine officielle, Mylène, lui refasse une scène. Il a connu Mylène en 1999, par son copain Farid. Il était en cavale. Elle l’ignorait. Elle travaille alors à la sécurité de l’aéroport d’Orly. Ils ont «d’abord sympathisé» puis sont «tombés amoureux». Lorsqu’elle a appris par la police en juillet 2003 que Nino avait pris du bon temps avec une autre à Saint-Raphaël, elle a dit sur procès-verbal : «Je ne veux plus entendre parler de lui.» Le président, Hervé Stéphan, fait réagir Antonio Ferrara à cette rupture qui n’a pas duré : «Dans les relations, vous savez, Monsieur le président, il y a des hauts et des bas, tout est dans le sourire !» Au quatrième jour d’audience, Nino avait encensé sa compagne : «Je suis avec Mylène depuis cinq ans, elle vient me voir au parloir, c’est une femme extraordinaire.»Convoquée le 1er octobre, Mylène n’est pas venue : «J’ai dit que je ferais mon possible pour la convaincre, en vain», ment Nino d’un ton léger. Le président : «Mais votre petit frère Diego sera bien là le 8 ?» Ferrara hausse les épaules, fataliste : «C’est pareil. Il est tombé amoureux, alors il est pas raisonnable.»


Seule à se méfier de ce trop sympathique détenu, l’administration pénitentiaire lui a fait payer au prix fort l’affront de l’attaque de sa maison d’arrêt de Fresnes (Val-de-Marne), à coups d’explosifs et de bazooka. Pas loin de sept années bouclé à l’isolement, seul en cellule et en promenade, à Fleury-Mérogis, et des parloirs derrière 20 cm de plexiglas. Guère enclin aux jérémiades, Antonio Ferrara qui encaissait, bravache, ce régime d’enfer, a fini par en parler fin 2008 au premier procès de ses libérateurs et complices : «Le soleil n’a pas touché ma peau depuis cinq ans.» Ce traitement de choc avait fini par l’atteindre, selon son ex-avocate, Me Nadia Moussif, pour qui «Antonio Ferrara se montrait moins combatif» dans ses multiples procès. Gabriel Mouesca, ex-séparatiste basque qui œuvre à la réinsertion des détenus, a ainsi témoigné lundi dernier en faveur de ce «cobaye de l’administration pénitentiaire» : «Dans les prisons françaises, depuis trente ans, pas un seul être humain ne s’est vu imposer les conditions de détention de Ferrara, ni les serial killers, ni (le terroriste) Carlos, ni les militants d’Action directe.» Néanmoins, Antonio Ferrara a fini par reprendre du poil de la bête en 2009 et à se battre de nouveau dans ses multiples procès d’assises. Il a ainsi réussi, avec Me Lionel Moroni, à décrocher deux acquittements l’an passé pour l’attaque d’un fourgon de la Brink’s à Gentilly à Noël 2000 et une tentative à Toulouse en 2001.


Il a rectifié son profil. Ni «meneur d’hommes», ni «chef» de bande, encore moins «artificier» sur des braquages de fourgons blindés, Antonio Ferrara conteste ces titres dangereux pénalement et se veut petite pointure du banditisme : «On a chargé la mule», reproche-t-il à la justice et à la police. Ses deux acquittements lui ont permis de revenir à un régime carcéral normal à la maison d’arrêt de Lille-Sequedin (Nord).


«Encore vous !»


Même les flics de l’Office central de répression du banditisme (OCRB) qui ont pisté ce braqueur de haute volée, petit voyou de cité acoquiné avec des Corses et des Marseillais du milieu, l’aiment bien car Nino est un type réglo et plutôt rigolo. Ils ont pourtant mis quatre mois à le rattraper après sa belle retentissante et risquée de la prison, et l’arrestation a failli mal tourner. Ils le repèrent au Peanut’s Café, à Bercy, le 10 juillet 2003, et rentrent en force pour l’interpeller. Ferrara tente de dégainer son pistolet automatique Tokarev, mais le commissaire Christophe Molmy lui colle deux coups de poing qui le blessent au bras. «Encore vous !» s’écrie le bandit qui le reconnaît.


Placé en garde à vue dans les locaux de l’OCRB, à Nanterre, Nino Ferrara a un petit mot pour chaque flic, comme le rapportent Brendan Kemmet et Matthieu Suc dans Antonio Ferrara, le roi de la belle (Cherche-Midi). A un commissaire : «Vous avez rasé votre moustache.» A une enquêtrice : «Vous avez perdu des kilos, ça vous va bien !» Interrogé sur son évasion, le bandit ment avec humour : «Des gens encagoulés sont venus faire exploser les barreaux de ma cellule. Mais je pense que ces gens se sont trompés, car je ne les connaissais pas et je ne savais pas que j’allais m’évader.» C’est tout ce que les policiers tireront du bandit. En garde à vue, Ferrara papote de tout et de rien, surtout de rien de compromettant. Les policiers, habitués, l’ont à la bonne. La preuve, le Rital a passé la nuit dans les bureaux avec les policiers et a eu droit à des pizzas alors que ses deux acolytes sont restés bouclés en cellule à manger des sandwichs.


«Sans rancune», Nino Ferrara a dédicacé le plâtre au bras fracturé du commissaire Molmy pour lui avoir tapé dessus. Lorsque les policiers l’ont sorti du bâtiment de la PJ à Nanterre pour le conduire au tribunal sous les yeux de dizaines de journalistes, le braqueur a demandé aux flics de déboutonner sa veste kaki pour faire admirer son torse bronzé. Les policiers lui ont remis ses lunettes de soleil pour masquer son œil au beurre noir. Au premier procès d’assises d’Antonio Ferrara, fin 2008, le commissaire Molmy n’a dit que du bien de lui : «C’est un garçon très attachant.»


(1) Depuis le 31 août et jusqu’au 29 octobre, sept accusés de complicité de l’évasion d’Antonio Ferrara comparaissent à ses côtés, notamment son ex-avocat, Karim Achoui, qui a été condamné à sept ans de réclusion en première instance.
http://www.liberation.fr/societe/01012294956-antonio-ferrara-braqueur-impayable

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