dimanche 14 novembre 2010

Hormone de croissance: Vingt après, la douleur sans une ride

Elle s’est demandé si elle était normale. Depuis le 4 octobre, Léa Le Théno assiste à toutes les audiences du procès en appel de l’hormone de croissance, mais elle s’est longtemps sentie spectatrice. Dans ce drame, la jeune retraitée a pourtant perdu son fils Benoît, emporté par la maladie de Creutzfeldt-Jakob, en 1998. "La psychologue m’a dit que je n’étais pas la seule, que c’était une manière de me protéger après le premier procès". Mais elle a pleuré en entendant les témoignages des autres familles. Ce mercredi, ils sont une quarantaine, assis sur les bancs des parties civiles. Fidèles à la mémoire d’un enfant, un frère, un époux défunt. Entre 1983 et 1985, un millier d’enfants trop petits furent soignés avec de l’hormone de croissance, extraite d’hypophyses prélevées sur des cadavres. A ce jour, 120 sont morts à cause de lots contaminés. Après 16 ans d’instruction, le premier procès avait abouti à la relaxe de tous les prévenus en janvier 2009. Des familles ont abandonné, découragées.


Pas celles-ci. Beaucoup ne veulent plus venir à la barre. Trop dur. Voire contre-productif. "En première instance, une centaine de personnes ont raconté leur histoire. C’était peut-être redondant", analyse un père en deuil. Ce jour-là, Marie-Christine Guillemet parle donc au nom de plusieurs familles. Elle relate la courte vie de son petit Nicolas, mort à 13 ans et demi. Ses phrases terribles: "Maman, mets ta main sur mon cœur, j’ai peur qu’il s’arrête." Ses 18 mois de calvaire à la maison: "Nicolas ne marche plus, ne voit plus, ne s’exprime plus, est incontinent et alimenté par sonde gastrique". Tous ont connu l’enfer. La culpabilité: "Mon fils Stéphane n’avait aucune pathologie, mais il faisait 1m27 à 16 ans. Ce médicament, je me suis battue pour l’avoir, explique Marie José Herrault. On va pour les soigner, on revient avec des ampoules de la mort". L’horreur du diagnostic: "C’était le 3 octobre 1997, raconte Léa Le Théno. Le neurologue nous a reçus dans son bureau, mon fils, sa compagne et moi. Il nous a dit : les prélèvements sont revenus, c’est bien la maladie de Creutzfeldt-Jakob, au revoir. Il a fallu prendre sur soi devant mon fils. Puis trouver comment adoucir sa fin de vie."


En appel, on ne les entend plus crier "assassins!" aux deux accusés (*) . Le plus important, c’est le droit. "Des hypophyses ont été prélevées sur des cadavres à risque, de vieillards, de malades psychiatriques… Des fautes ont été commises, martèle Estelle Défausse, qui a perdu son mari en 2005. Les laboratoires industriels qui fabriquaient l’hormone de croissance à la même époque n’ont, eux, déploré aucun mort." Et les familles de victimes ont fait appel à Maître Szpiner. Un ténor du barreau, capable de cuisiner Stanley Prusiner, le Prix nobel découvreur du Prion, qui assure qu’on ne savait pas à l’époque. Chacun manifeste un timide espoir. Même Monique Défausse qui, au départ, ne voulait pas faire appel: "Ce n’est pas comme la première fois. Le président pose davantage de question, l’avocat général a plus de hargne. Parfois, je me dis que peut-être…" Tous perçoivent un changement. Cette fois, par exemple, la note du professeur Montagnier, mettant en garde l’Institut Pasteur, dès 1980, a été lue à l’audience. "J’ai l’impression qu’on est plus entendu", confirme Alain (**) . Ce mercredi, le trentenaire témoigne au nom des jeunes à risque, ceux qui ont reçu des lots d’hormone suspects et vivent dans l’angoisse de la maladie (elle peut incuber 30 ans). Un "cauchemar éveillé".


(*) En appel, seuls deux prévenus sont poursuivis au pénal: Fernand Dray, ancien responsable d’un laboratoire de l’Institut Pasteur, et Elisabeth Mugnier, ancienne pédiatre responsable de la collecte des hypophyses.
(**) prénom modifié.


http://www.lejdd.fr/Societe/Justice/Actualite/Hormone-de-croissance-Vingt-apres-la-douleur-sans-une-ride-233505

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