mardi 29 mars 2011

Justice : l'affaire Laetitia "peut se reproduire n'importe où"

L'actualité internationale très chargée des dernières semaines les avait un peu éclipsé du devant de la scène. Pourtant, deux mois après l'affaire de Pornic, les acteurs du monde judiciaire n'ont pas ravalé leur colère. Comme prévu, magistrats, greffiers, avocats, agents de probation et personnels pénitentiaires défileront côte à côte mardi après-midi à Paris, entre la place Saint-Michel et l'Assemblée nationale, à l'appel des trois syndicats de magistrats et d'une vingtaine d'organisations. A leur arrivée à l'Assemblée, ils espèrent être reçus par le président Bernard Accoyer. Ils entendent ainsi prolonger le mouvement sans précédent de "grève" des audiences non urgentes mené en février dans la quasi totalité des juridictions après la mise en cause publique de magistrats par Nicolas Sarkozy. Le chef de l'Etat avait évoqué des "fautes" dans le suivi de Tony Meilhon, repris de justice et principal suspect du meurtre d'une jeune fille, Laëtitia Perrais, mi-janvier près de Nantes. Finalement, seul le directeur interrégional des services pénitentiaires de Rennes a été muté.
Des rapports d'inspection ont montré que les services de probation (SPIP) et les juges d'application des peines locaux étaient noyés sous les dossiers et donc contraints d'en délaisser une partie, avec l'accord de leur hiérarchie. Depuis, la Chancellerie affirme avoir débloqué des moyens en urgence : triplement à 5 millions d'euros du budget consacré en 2011 à la réserve judiciaire et pénitentiaire, recrutement immédiat de 400 vacataires, etc... Le ministère a également voulu organiser une concertation sur l'organisation du travail des SPIP, mais les syndicats ont claqué la porte, réclamant un débat plus large.

TF1 News : Deux mois après l'affaire de Pornic, vous redescendez dans la rue, la colère du monde judiciaire n'est donc pas retombée ?

Christophe Régnard, responsable de l'Union syndicale des magistrats : Il n'y a aucune raison que la colère soit retombée puisque manifestement tant du côté du gouvernement que du ministère, la mesure de la crise n'a toujours pas été intégrée. Les annonces qui ont été faites sont dérisoires. Lundi, déjà, des tables rondes et des conférences de presse se sont déroulées partout en France. Cette manifestation parisienne sera le point d'orgue. On espère une mobilisation la plus massive possible pour que le ministère entende enfin nos demandes.

TF1 News : Que demandez-vous concrètement ?
C.R. : Notre premier objectif est de faire de la pédagogie auprès de l'opinion public en lui expliquant pourquoi on ne peut plus continuer comme cela et pourquoi il faut que le gouvernement nous écoute. Après, sur le fond, nous sommes réalistes et nous savons que, dans le contexte budgétaire actuel, les milliards d'euros ne se trouvent pas comme cela. Le rapport de la commission d'enquête parlementaire sur Outreau avait établi qu'il fallait doubler le budget de la Justice judiciaire en France. Cela n'a pas été fait. Pour parvenir à l'équilibre et rattraper le retard par rapport aux autres démocraties européennes, nous estimons qu'il faut ajouter deux milliards d'euros supplémentaire par an au budget actuel et ceci pendant dix ans.

TF1 News : Lors de l'émission Face aux Français sur TF1, Nicolas Sarkozy a estimé que le problème de la Justice n'était pas seulement une question de moyens...
C.R. : Ce n'est pas toujours qu'une question de moyens, mais cela fait quinze ans que l'on nous ressert la même sauce qui consiste à dire qu'il faut réformer l'organisation et intégrer les nouvelles technologies. Le problème est que tout ce qui pouvait être grappillé sur le temps de travail des magistrats a déjà été grappillé. Nous sommes arrivés à un stade où nous faisons un travail qui n'est plus dans les normes imposées par la loi : on s'arrange avec un certain nombre de textes, on se passe de nos greffiers, on ne motive plus nos décisions, les délais sont bien trop important par rapport à ce que les justiciables sont en droit d'attendre... Il y a donc bien une vraie réflexion à avoir sur les moyens que l'on donne à la justice pour fonctionner. Quand on voit qu'on est 37e sur 43 au niveau européen pour le budget consacré par habitant à la justice, on peut se poser des questions...

TF1 News : Michel Mercier annonce, de son côté, une augmentation constante du budget de la Justice depuis 2002.
C.R. : La Chancellerie, depuis quelques jours, diffuse à la presse des documents montrant que les budgets ont augmenté de 30 à 40% depuis 2002. Mais monsieur Mercier oublie de mettre en parallèle l'augmentation des contentieux sur la même période. Selon les chiffres de l'
USM, concernant les contentieux civils, la charge de travail a augmenté de 66% entre 2002 et 2010. Le nombre d'affaires pénales jugées a lui grimpé de 55%. On voit bien qu'avec une augmentation de magistrats de moins de 20% dans le même temps, on ne peut pas faire face à cette augmentation des contentieux. C'est ce message que l'on veut arriver à faire passer à l'opinion publique. Il faut nous donner des juges, des greffiers, des conseillers d'insertion et des policiers pour nous permettre de travailler dans l'intérêt des Français.

TF1 News : Quelle leçon avez-vous tirée de l'affaire de Pornic ?
C.R. : La leçon à tirer est qu'il faut mettre en place des choses pour éviter que cela ne se reproduise. Car les dysfonctionnements dans l'application des peines que l'on a pu constater à Pornic, nous, nous les constatons dans beaucoup d'autres juridictions, et aussi dans d'autres domaines, comme celui des affaires familiales...
Ce qui s'est passé à Pornic peut se reproduire demain dans n'importe quel tribunal de France et dans n'importe quel domaine de la justice, compte tenu des moyens qui sont insuffisants et nous contraignent à prendre des priorités, en traitant certains dossiers et en en délaissant d'autres. C'est cela que l'on ne veut plus. La réponse à la Justice devrait être là. Mais je ne suis pas sûre que le gouvernement a pas pris la mesure du problème. J'espère que cette manifestation y contribuera.

TF1 News : N'êtes-vous pas aussi un peu réfractaires à une réorganisation dans la mesure où vous avez refusé de participer à la concertation proposée récemment par le garde des Sceaux ?
C.R. : Nous n'avons pas souhaité y participer pour deux raisons. D'abord parce que
Michel Mercier à d'entrée de jeu dit qu'il ne s'agissait pas d'une question de moyens. Or, il y a un problème évident de moyens. Ensuite, nous ne voulons pas nous contenter de réfléchir au seul problème de l'application des peines, mis en lumière avec Pornic, mais avoir une réflexion plus générale sur l'organisation de la Justice. Il semble que le garde des Sceaux ait prévu de faire des annonces ce mardi allant en ce sens. Nous verrons.
http://lci.tf1.fr/france/justice/2011-03/ce-qui-s-est-passe-a-pornic-peut-se-reproduire-dans-n-importe-quel-6331732.html

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