jeudi 3 mars 2011

Les derniers secrets de Chanal

Achetez l'Union de ce jour 03/03/2011 DEUX pages sont consacrées à ce dossier

Des gradés de l'armée doublés de pervers sexuels comme s'il en pleuvait. Des appelés victimes de «chasses à l'homme» qui dérapent. D'étranges disparitions et des morts suspectes jamais élucidées autour «du triangle maudit» de la Marne. Au fil de sa contre-enquête sur les disparus de Mourmelon, le journaliste Eric Bellahouel sème le doute sur la thèse jusque-là officielle d'un tueur unique et solitaire nommé Pierre Chanal.


« JE ne peux tout vous révéler… Mais en substance, je peux dire que Pierre Chanal m'a confirmé avoir activement participé à cette affaire des « disparus de Mourmelon ». Mais, pour reprendre ses propos, il m'a assuré « qu'il n'était pas seul. » La personne qui se confie ainsi à Eric Bellahouel tient à conserver l'anonymat par crainte de représailles. « À moi, il a dit : « Garde tout cela pour toi. Pour ta sécurité et celle de tes proches » », rapporte encore l'auteur de la contre-enquête sur les disparus de Mourmelon (*). Pourquoi alors le confident de Pierre Chanal rompt-il le silence ? « Je ne devais rien révéler de ce qu'il m'a dit, mais vos propos m'ont bousculé et je crois que vous touchez au cœur du dossier. En fait, j'aurais préféré que vous ne me contactiez pas. Cela remue des choses terribles en moi. » Ces propos le replongent brusquement quelques années en arrière. Une période de sa vie dont il cherche manifestement à faire le deuil.
Surtout, la piste qu'évoque alors Eric Bellahouel fait écho aux confidences qu'il a reçues de Pierre Chanal sur son lit de l'infirmerie du centre pénitentiaire de Fresnes. Cette piste nouvelle s'appuie sur une longue litanie. Des messages eux aussi anonymes et collectés par dizaines sur des forums où il est question d'une poignée de gradés rompus aux pires perversités, adeptes de chasses à l'homme et même de viols. Ces témoignages anonymes seraient-ils le fruit d'une imagination aussi fertile que malsaine ? Eric Bellahouel l'a soupçonné quelques années auparavant. Seulement, il y eut cette rencontre fortuite avec Sylvain, ex-appelé du 4e Régiment de Dragons, dans le courant de l'année 2009.


« Ils nous ont fait mettre à poil »


Un anonyme - encore un - qui, un soir, a fini par lâcher ce qu'il avait sur le cœur. « Ces faits qui ont mis sa vie en lambeaux quand il était môme. » Mais ce cauchemar qui, deux décennies après, continue de le hanter ne met pas en scène Chanal. « Il n'était pas le seul à aimer les mecs. » Ces abus dont Sylvain parle, des trémolos dans la voix et des larmes au fond des yeux, se déroulent en plein mois de novembre. « Ils nous ont fait mettre à poil, on se gelait. Eux, ils rigolaient. Ils nous ont dit de partir, de courir, qu'ils nous laissaient un peu d'avance. » Sylvain se réfugie dans une cave. Prostré. Puis ce sera le silence et la dépression.


63 gradés « pervers »


Alors, Eric Bellahouel décortique les messages sur la toile. Et pour en avoir le cœur net, il se lance à corps perdu dans les quelque vingt tomes du dossier d'instruction des disparus de Mourmelon.
Un dossier fleuve long comme le canal de la Marne. Une enquête à perdre haleine qui s'étale sur une décennie pour un piètre résultat. Des kilos de procès-verbaux et d'expertises qui révèlent l'existence de 63 gradés qualifiés de « pervers ».
Beaucoup sont amateurs de jeunes auto-stoppeurs. D'autres excellent dans l'art des pratiques sadomasochistes comme le montre une série de photos plus immondes les unes que les autres, saisies par les gendarmes au domicile d'un lieutenant-colonel.
Sont-ils en lien avec les portés disparus dont les familles ont tenté en vain de se frayer un chemin dans la liste officielle « des huit disparus de Mourmelon » ? Quelles relations Pierre Chanal entretenait-il avec les autres gradés aux mœurs incertaines des camps de Suippes, Mourmelon-le-Grand, Mailly-le-Camp ou Châlons-en-Champagne ? Personne n'a tenté d'y répondre.


« Jeux particuliers », « Jeux sexuels »


Voici ce qu'en dit le confident de Pierre Chanal à Eric Bellahouel : « Il m'a dit qu'il s'agissait de « jeux particuliers ». Qu'il n'était pas le seul gradé à y prendre part. Que parfois, ils se réunissaient et organisaient ce que vous appelez des « chasses à l'homme ». Lui parlait plutôt de « safaris ». Des « safaris » qui se déroulaient dans la forêt ou sur des terrains militaires dans les environs de Mourmelon. Ils lâchaient quelques appelés dans la nature et se lançaient à leur poursuite. Cela se terminait en jeux sexuels… »
Le témoin évoque aussi des viols d'appelés. « Parfois il y avait un « accident » et il fallait se débarrasser du corps. » « L'arrestation de Pierre Chanal a arrangé tout le monde. Je sais qu'il est terrible de porter ce secret et de soulever seulement un pan du voile, alors que les familles des disparus sont toujours dans l'attente de connaître la vérité. Mais je ne peux faire autrement. » Il n'en dira pas davantage en dépit du pressing du journaliste. Car répète-t-il : « J'en ai déjà trop dit ».

(*) Les disparus de Mourmelon : Tout n'a pas été dit. Une contre-enquête d'Eric Bellahouel aux éditions Jacob-Duvernet.


http://www.lunion.presse.fr/article/marne/les-derniers-secrets-de-chanal
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