samedi 16 avril 2011

Le grand pardon de la grand-mère

Dans un accès de délire, son petit-fils lui avait porté quatre coups de couteau. Contre toute attente, la vieille dame de 78 ans plaide sa cause devant les assises de Haute-Saône et espère sa libération.
« Tous les matins je pense à Julien. Quand je vois les fleurs, les fruits, quand j’entends le chant des oiseaux je pense à Julien. Je ne peux pas tourner la page tant qu’il est enfermé… » Une victime qui prend fait et cause pour son agresseur, l’instant est rare, exceptionnel devant une cour d’assises. À la mesure il est vrai de ce drame familial qui a secoué le pays graylois début 2009. Dans la matinée du 10 mars, une septuagénaire d’Arc-Les-Gray alerte les secours. Elle vient d’être poignardée à plusieurs reprises dans son pavillon. Pas par un rôdeur, un voleur ou un pervers. C’est son propre petit-fils, un jeune homme désœuvré de 22 ans, qui lui a porté quatre coups de couteau dans le haut du corps.
Estomac perforé, foie et intestins touchés, elle s’en sortira heureusement après deux mois d’hospitalisation. Julien Domar s’est ensuite enfui, en taxi jusqu’à la gare de Dijon où il comptait prendre un train pour la Suisse. Et plus tard rejoindre ses parents à la Réunion, son obsession depuis quelque temps. Mais les gendarmes ont fait diligence. Ils ont très vite retrouvé sa trace pour le cueillir dans la salle des pas-perdus, l’après-midi même. Aussitôt Julien a reconnu avoir frappé sa grand-mère et livré un mobile qui a sidéré les enquêteurs. Sa grand-mère était passée quelques jours plus tôt à son domicile, lui amener des légumes et des cartons pour préparer son départ futur, et depuis il ne retrouvait plus sa nouvelle carte bancaire. Persuadé que la septuagénaire la lui a volée, il s’est rendu ce matin-là dans le pavillon familial. « Je voulais la récupérer par tous les moyens. Oui j’avais prévu l’extrême, la tuer… mais je ne voulais pas en arriver là. » La vieille dame qui n’a rien à voir avec cette disparition ne peut bien sûr pas lui rendre.
Dans le box, l’accusé, jean’s et chemisette largement ouverte sur sa carrure de costaud, se souvient parfaitement avoir sorti son couteau de cuisine pour la frapper. « Elle m’a dit, Julien t’es en train de me tuer et m’a donné sa propre carte avec le code. Moi, c’est la mienne que je voulais… » Il admet avoir retiré ensuite 150 euros pour fuir et confesse avoir « commencé à douter à la gare. Si ça se trouve, elle n’a rien fait. C’était une erreur, une chance qu’elle soit encore en vie. Je regrette vraiment cette connerie ».
En fait de « connerie », il se retrouve devant les assises, accusé de « tentative d’assassinat ». Avec un atout de poids, sa grand-mère qui n’a de cesse de lui pardonner son geste. Une victime atypique qui n’a jamais voulu porter plainte ou se constituer partie civile et qui balaie d’un revers les questions du président sur sa santé. « Physiquement, ça va très bien. Le plus difficile c’est de le savoir en prison. » Pour la suite elle n’a aucune crainte, aucune peur de lui. « Ce n’était pas un violent. »
L’instruction a permis de mieux comprendre le cheminement délirant qui a conduit ce jeune homme seul, timide, introverti à « péter les plombs », comme il le dit lui-même.
Les experts psychiatres qui l’ont examiné à une année d’intervalle durant sa détention ont constaté le développement d’une « schizophrénie simple, évolutive ». Une pathologie larvée que personne n’a décelée auparavant et qui, sous l’effet d’un toxique, a pu conduire à des « ruminations obsédantes, hallucinations et autres idées délirantes ».
Depuis près de deux ans, le garçon désœuvré consommait massivement du cannabis. La nuit précédant le drame, il explique n’avoir « pas dormi et fumé une dizaine de joints ». Le déclic qui pour son avocate, Me Frédérique Thomas, a sans doute mis le feu aux poudres. L’audition des experts prévue ce matin sera capitale pour mesurer le degré de discernement et donc de responsabilité de l’accusé au moment de son acte. Aujourd’hui traité pour cette schizophrénie, il semble en tout cas avoir tous ses esprits. Bien conscient de sa chance d’avoir une grand-mère aussi peu rancunière, aussi confiante en lui, Julien sait que « ça laissera des cicatrices. Oui ça va me hanter toute ma vie ». En attendant, sa jeune existence est suspendue à la décision des jurés qui livreront aujourd’hui leur verdict après les réquisitions de l’avocate générale, Alexia Koenig, et la plaidoirie de son avocate Me Frédérique Thomas.
http://www.lepays.fr/faits-divers/2011/04/15/le-grand-pardon-de-la-grand-mere

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