mercredi 18 mai 2011

Colonna : quand un policier manie l'art de l'esquive

Roger Marion a affronté le tir nouri des avocats sans remettre en cause les enquêtes de ses services. Si Roger Marion enseignait les mathématiques, il pourrait se vanter d'avoir une approche révolutionnaire de sa science et proposerait des équations insolites. Par exemple: chargé de résoudre l'assassinat du préfet de Corse, vous êtes persuadé que les commanditaires se trouvent dans le «milieu agricole subversif», vous arrêtez finalement un professeur agrégé de géographie et un de ses collègues certifié en maths qui seront acquittés, expliquez en quoi votre raisonnement est imparable.

Témoin à la cour d'assises devant laquelle comparaît Yvan Colonna, Roger Marion, 64 ans, fut, à partir du 6 février 1998, le principal responsable de la traque des tueurs d'Ajaccio, en tant que chef de la Division nationale antiterroriste. Il dépose à cette barre pour la cinquième fois, et cette routine confère à celui que ses hommes surnommaient «Eagle 4» (pour «y gueule fort») une sorte de détachement suprême. Il a toujours cette gestuelle pittoresque, faite de prestes génuflexions, de balancements d'arrière en avant, de mouvements de mains virevoltants, mais il contient parfaitement son tempérament éruptif pendant les cinq heures qu'il passe au micro.
Le préfet Marion estime qu'il a bien fait de suivre immédiatement après le crime la «piste agricole» puisque c'est à travers elle que ses troupes arriveront aux six individus définitivement condamnés, dont certains désigneront Yvan Colonna ­comme étant le tireur. Ces aveux «ont été recueillis dans le respect de la déontologie policière», affirme le témoin. Peu lui importe que des dizaines de personnes aient été interpellées à tort et restent, à ce jour, mises en examen dans le volet agricole - une manière de jachère judiciaire.

Des souvenirs qui fâchent

M. Marion ne manque pas d'arguments pour rappeler comment la DNAT est remontée à MM. Alessandri, Maranelli et Ferrandi, trahis par leurs téléphones portables. Selon lui, quand il apprend que ses amis sont placés en garde à vue, le 21 mai 1999, Yvan Colonna, certes, ne s'enfuit pas immédiatement dans le maquis (l'intéressé préfère l'expression «prendre du recul»), mais «il prend ses dispositions», retirant une forte somme à la banque. Plus que les autres années, M. Marion cite le successeur de Claude Erignac, Bernard Bonnet, dont il fait en quelque sorte son préfet-sombrero. Pourtant, il prétend n'avoir consulté qu'en janvier 1999 ses fameuses notes, fruit d'une enquête parallèle confiée à la gendarmerie et envoyées à Paris fin novembre 1998.
La défense part à l'assaut. Mais le rusé policier est un as de l'esquive. En tant que patron de l'enquête, il est censé tout savoir. Mais là, comme un lieutenant stagiaire, il répond qu'il ne peut utilement témoigner que sur les actes qu'il a lui-même accomplis. Surtout, il se coupe sur certains points embarrassants. Les Renseignements généraux avaient-il placé une balise sous la voiture d'Yvan Colonna fin 1998 pour surveiller ses déplacements - ce qui signifierait que les soupçons sur le berger de Cargèse existaient avant mai 1999? Le témoin refuse de répondre, ou répond qu'il ne sait pas, ou répond à côté. Autre point flou: Yvan Colonna a-t-il été placé sur écoutes par les mêmes RG? Le témoin biaise, réfute, admet, perd la mémoire... Face à lui, les cinq conseils de l'accusé attaquent. Me Dupond-Moretti tournicote, énumérant les souvenirs qui fâchent sans faire donner l'artillerie lourde, Me Dehapiot oppose son cartésianisme à la logique baroque de M. Marion, Me Garbarini ne pose qu'une question - mais une bonne -, Me Simeoni s'enfièvre, Me Antoine Sollacaro s'emporte («vous êtes un manipulateur et un pitre»). M. Marion oscille, plie les genoux, rajuste machinalement son veston, mais ne rompt pas.
Il est tout de même troublant que des responsables policiers de ce rang soient, quand cela les arrange, aussi fuyants devant une cour d'assises, dans un tel dossier qui exigerait des dépositions irréprochables. Leur façon à eux de «prendre du recul»?
http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2011/05/16/01016-20110516ARTFIG00760-colonna-quand-un-policier-manie-l-art-de-l-esquive.php

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