mercredi 31 août 2011

« Présumé coupable » : verdict des avant-premières

Les spectateurs lillois sont venus « par curiosité » (1). Pas celle qui les accrochait lorsqu'ils suivaient, comme tout le monde, la médiatique affaire d'Outreau. Ce soir,il s'agit de l'histoire d'un homme, Alain Marécaux, comme tout le monde lui aussi, aspiré par la spirale infernale d'une justice aveuglée. « Présumé coupable » a bouleversé des spectateurs curieux de voir comment une fiction tentait de réparer le réel.

Cinéphiles, Franck et Christine aiment le confort des fauteuils de cinéma pour y être secoués : « On a suivi comme tout le monde l'affaire à l'époque. On s'attend à un choc, on sait que ça a bousillé des années de la vie de cet huissier, que ça le suivra toute sa vie. » Lui est inspecteur des impôts ; elle, psychologue du travail. Prêts à « s'identifier » à l'huissier. Mais aussi à garder leurs distances : « Ça reste du cinéma, on se demande s'il y aura assez de recul avec cette histoire récente. » Une réserve qui sera balayée par l'interprétation magistrale de Philippe Torreton (césar pour Capitaine Conan, Hamlet sur les planches cet été), qui a sacrifié 26 kg à la grève de la faim du personnage, rien de sa pudeur.
Franck et Christine se souviennent du calvaire de l'huissier, des douze autres acquittés - même du treizième jamais jugé, mort en prison. Même s'ils ont oublié des « détails » qui ont fait chuter Alain Marécaux au fond du trou. Comme le nom du juge d'instruction. Mais à chaque apparition à l'écran du métallique Fabrice Burgaud, leur indignation est palpable. La salle de l'UGC, comble, la partage. Elle ne se décrispe que face à la sollicitude de Me Hubert Delarue, tenace défenseur de Saint-Omer à Paris.
Les lumières se rallument après une heure quarante : des applaudissements immédiats, comme s'il était urgent de couvrir le bruit des verrous, des pas des magistrats sur le parquet. La salle entière a la sensation de revoir le jour. « Plus que les larmes, l'indignation », commente Franck.
Pari réussi pour Vincent Garenq, le réalisateur (Comme les autres) : « Je ne voulais pas faire un mélodrame, mais transmettre cette colère. » Il raconte la nécessité ressentie à la lecture de Chronique de mon erreur judiciaire d'Alain Marécaux : « Il fallait transmettre ce cri comme venu du Moyen Âge au-delà des 30 000 exemplaires du livre. » Le cinéma comme haut-parleur. « On porte un regard bienveillant sur Alain, mais ce n'est pas juste une revanche personnelle : chacun peut s'identifier. »

Porte close dans les tribunaux de la région

Torreton qui, comme d'habitude, fait corps avec le rôle et la cause, précise : « Une arrestation façon Gestapo, la torture des aveux, la présomption d'innocence bafouée... Et puis aucun relais politique ayant le courage d'appliquer les leçons de la commission parlementaire. » Une femme de détenu prend la parole, puis une surveillante en maison d'arrêt : touchées par une caméra comme un oeil au coeur de la solitude carcérale.
Des gens veulent juste dire « merci ». D'autres dénoncent : les conditions de détention, le corporatisme des magistrats... Vincent Garenq raconte les obstacles pour trouver des décors réels : « Impossible de tourner dans les tribunaux de Boulogne ou Saint-Omer.
Difficile de croire qu'il y a eu une prise de conscience dans la magistrature. » Il a tourné dans une prison belge, avec l'hôtel de ville de Cambrai dans le rôle du tribunal de Boulogne. Seule la prison de Loos a joué le jeu.
La base du travail du réalisateur ? « Je me suis appuyé sur le livre d'Alain mais aussi sur le dossier d'instruction très... froid, à défaut d'être objectif. Les procès-verbaux, je ne les ai pas inventés », martèle Vincent Garenq. S'il bouscule l'institution judiciaire, lui reste convaincu que la justice ne se rend pas hors des tribunaux, dans les livres ou les forums Internet (2). À l'unisson, lui et Torreton préviennent : « Que ceux qui prétendent avoir des pièces les amènent dans les mains de la justice, sinon qu'ils se taisent. »La sentence de Franck le spectateur est pleine de bon sens : « Un film ne suffit pas à figer une vérité, mais il rappelle l'essentiel : avant de juger, il faut comprendre. »
1. Le film a déjà été projeté dans la région en avant-première, mais en comité restreint, pour des gens concernés au premier chef par l'affaire (notre édition du 29 mai).
2. Un film s'aventurant sur le terrain du révisionnisme judiciaire, à partir du témoignage d'un des enfants victimes d'Outreau, est prévu prochainement...
http://www.lavoixdunord.fr/Region/actualite/Secteur_Region/2011/08/28/article_presume-coupable-verdict-des-avant-pre.shtml

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