dimanche 20 novembre 2011

Cour d'appel / Le docteur Giolitto joue l'innocent

Hier l'avocate générale a pris de sévères réquisitions à l'encontre de l'ex-urologue de la clinique des Bleuets de Reims qui était jugé en appel pour homicide involontaire. Elle a demandé une peine de prison avec sursis mais surtout une interdiction d'exercer sa profession à l'encontre de Jean-Pierre Giolitto.

NOUVELLE épreuve hier pour la famille Gommenne qui se bat depuis août 2006 pour connaître la vérité sur la mort de Romain, 18 ans. Car le docteur Jean-Pierre Giolitto - reconnu coupable d'homicide involontaire par le tribunal correctionnel de Reims au mois de juillet - a fait appel du jugement, convaincu envers et contre tous de son innocence (voir par ailleurs). Le problème est qu'hier encore, les magistrats ont semblé franchement dubitatifs et souvent même ébahis en écoutant ses explications à propos des manquements et des fautes soulignés par les experts chargés de se pencher sur la mort de Romain Gommenne à l'été 2006.
Il a d'abord été question de ce cruel défaut d'information au jour de la consultation pré-opératoire effectuée par un interne alors que Jean-Pierre Giolitto était en vacances. Car manifestement le jeune Romain Gommenne n'a pas été avisé des différentes techniques chirurgicales disponibles et des facteurs risque qui en découlent. De toute façon, les dés étaient pipés. Car les habitudes opératoires du chirurgien primaient manifestement sur les contraintes comme celles liées à la morphologie longiligne du jeune patient.

« Technique pas sûre »
À la barre, Jean-Pierre Giolitto soutient que la technique est seulement déconseillée « en cas d'obésité ou si le patient a déjà été opéré ». Et puis lâche-t-il : « Moi, j'appartiens à l'école de la cœlioscopie fermée. » Or, pour lui, il n'y a pas plus de risque qu'avec une cœlioscopie ouverte. Mais, coupe le président François Franchi, « pour qu'il y ait consentement, il faut que le patient soit éclairé. J'ai du mal à comprendre quand il l'a été sachant que vous avez utilisé une technique qui n'est pas sûre… » « Je pense qu'elle est sûre car sinon elle aurait été interdite », rétorque l'urologue. « Elle n'est pas sûre puisque l'on peut couper de façon irrémédiable une veine ou une artère », reprend le magistrat.
À l'assesseur qui insiste sur une maladresse d'exécution en lien avec le gabarit particulier de Romain, Jean-Pierre Giolitto tente une pirouette osée. Presque déplacée. « J'ai pu examiner sa morphologie avant qu'il ne soit endormi, quelques minutes avant l'opération... On a fait connaissance dans l'endroit où ils patientent. » « J'ai du mal à comprendre pourquoi le trocart a blessé ce jour-là les vaisseaux », coupe encore le président Franchi. « Je continue à pratiquer cette technique car la moitié de mes confrères l'utilisent », élude Jean-Pierre Giolitto.

« Compression sans effet durable »
« Un jeune homme est décédé et j'ai l'impression qu'il est mort par accident, ce qui est un peu surprenant », s'agace le magistrat. « J'essaie de vous expliquer que l'accident chirurgical peut toujours arriver », s'autorise à rebondir le prévenu. « Je regarde les faits... La vie de ce jeune homme est partie un matin dans des conditions très surprenantes », insiste le président. « Je ne m'explique pas pourquoi, ce jour-là, c'est allé dans les vaisseaux », répond l'autre. L'artère iliaque et la veine cave perforées par un trocart acéré introduit à l'aveugle, Jean-Pierre Giolitto doit faire face à une abondante hémorragie. « J'ai eu le bon réflexe d'ouvrir (le ventre) pour traiter la plaie car quand on est médecin on ne reste pas les bras croisés. Je pense que mon geste a eu une efficacité car sinon il serait décédé avant », se rassure-t-il. Ce n'est pas ce que disent l'anesthésiste et les autres qui parlent d'une « compression manuelle sans effet durable » et « sans résultat satisfaisant ».
Surtout, on reproche au docteur Giolitto d'avoir fait l'impasse sur les clamps (pinces) à sa disposition pour endiguer l'hémorragie. « Le seul clamp efficace est une pince longue et droite et, effectivement, il n'y en avait pas aux Bleuets », se défend-t-il.

« Vous avez pris les risques pour lui »
« Les instruments à ma disposition n'étaient pas adaptés à la situation. Je les ai regardés mais je n'ai pas voulu aggraver les choses en les utilisant », dit-il pour la première fois. « Ce n'est pas un problème de ne pas avoir prévu la totalité des instruments? » « Peut-être, mais je n'ai pas la certitude que le clamp aurait fait beaucoup mieux que ma main », soutient aussi l'urologue. « Et pourquoi ne pas avoir fait appel à ce confrère chirurgien viscéral? » « Je n'imaginais pas que le chirurgien vasculaire de Saint-André mettrait 25 minutes en plein mois d'août sans circulation », se défausse-t-il.
« Les minutes s'écoulent et vous n'avez pas essayé autre chose. C'est comme si vous n'avez pas eu les réflexes d'un chirurgien devant une urgence vitale », s'étonne le juge assesseur. « Est-ce que toutes les conditions étaient réunies pour réaliser cette opération? » Silence. « Car c'est vous, chirurgien, qui acceptez d'opérer dans ces conditions » (c'est-à-dire sans dépôt de sang sur place, sans les ustensiles adéquats et hors la présence d'un chirurgien vasculaire), fustige le président Franchi. Et de suggérer : « Peut-être que quand il y a un risque, il faut être opéré à Saint-André et peut-être pas aux Bleuets. » Silence encore. « C'est quand même vous qui avez pris les risques pour lui... Si c'était votre fils, vous diriez qu'il n'a pas eu de chance? », conclut le magistrat.
« Je suis sidéré par le calme et la froideur avec lesquels vous venez dire que vous avez toujours pratiqué de la sorte », tonne Me Pelletier. « À aucun moment vous ne vous remettez en question », poursuit-il, réclamant un signe fort de la part des juges pour que pareille drame ne se reproduise pas. « C'est le geste qui va tuer involontairement et sans exercice sérieux de la médecine puisqu'on rencontre le patient au pied de la table d'opération », estime l'avocate générale. « On n'est pas dans un système de perte de chance mais de suppression de toutes les chances de survie », poursuit Brigitte Montambault. Elle requiert une peine de prison avec sursis et une interdiction d'exercer sa profession qui ne soit pas inférieure à 18 mois à l'encontre du prévenu. Un chirurgien qui a plaidé la relaxe par la voix de son avocat, Me Georges Lacoeuilhe. Car ce drame serait le fruit « de simples erreurs », « de maladresse certaines » mais certainement « pas de fautes caractérisées ». Réponse le 16 décembre.
http://www.lunion.presse.fr/article/marne/cour-dappel-le-docteur-giolitto-joue-linnocent

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