mercredi 30 novembre 2011

Un sauternes au lait !

A ce rythme-là, les magistrats de la 4e chambre correctionnelle du tribunal de grande instance de Bordeaux vont bientôt passer pour les spécialistes des pratiques œnologiques border line ! Le 3 novembre, ils ont condamné l'épicière de Sainte-Croix-du-Mont qui écoulait des quantités astronomiques de sucre auprès de vignerons désireux de remonter leurs vins. Jeudi, ils ont jugé les gérants d'une société civile d'exploitation du Sauternais qui avaient ajouté du lait entier dans leurs barriques de liquoreux.
La moitié de la récolte

Il n'y avait apparemment pas d'autre solution pour chasser un vilain goût de champignon. Tenace, il parasitait plusieurs cuvées des différents millésimes 2006 commercialisés par cette vieille famille de viticulteurs. Traités de la sorte, près de 330 hectolitres, essentiellement du Sauternes, avaient pu obtenir le label AOC et être écoulés auprès de la grande distribution. Cela n'aurait jamais dû être le cas. L'impitoyable décret de 1921 relatifs à la falsification des denrées agricoles stipule que les vins affectés d'un défaut les rendant impropres à la consommation doivent être retirés de la vente.
« Financièrement, la propriété ne l'aurait pas supporté, avoue honnêtement l'un des gérants. Cela représentait la moitié de la récolte. Et ce n'était pas du haut de gamme. » Le vaisseau amiral de l'exploitation, un Sauternes souvent médaillé, avait échappé à cette médication venue du fond des âges. Les viticulteurs dont certaines des parcelles sont voisines du prestigieux Yquem n'ont pourtant pas eu l'impression de jouer avec le feu. « Cela s'est toujours fait, se défend l'un d'entre eux. Cette méthode ancestrale figure même dans plusieurs traités d'œnologie. »
En revanche, elle n'apparaît pas dans la liste des produits autorisés sous conditions par le règlement communautaire. Ils sont nombreux : la caséine, la protéine du lait qui rafraîchit les crus, les copeaux qui apportent de la rondeur et de la vanille, l'albumine… Le lait entier a beau avoir la particularité d'agglomérer les particules malodorantes, son usage est banni. Mélanger du vin à cet aliment considéré comme allergène, c'est se rendre coupable de tromperie.
En 2010, lorsque les agents de l'ancienne Répression des fraudes ont contrôlé les chais, ils ont éprouvé quelque difficulté à identifier les vinifications des différents châteaux d'une propriété présente sur trois appellations : sauternes, barsac et graves. Les cuves n'étaient pas marquées. Mais en revanche, dans un cahier de chais, apparaissait en toute transparence la mention lait entier. 5 litres au total, soit 14 grammes par hectolitre. Mais ce n'est pas cette quantité infinitésimale qui a convaincu le tribunal de relaxer les deux dirigeants au bénéfice du doute et de la bonne foi.
Toléré jusqu'en 2012
Les deux viticulteurs ont du leur salut à la vigilance de leur conseil Me Philippe Sol. À sa grande surprise, l'avocat a découvert dans la revue technique de l'Union girondine des vins de Bordeaux, une émanation de la Fédération des grands vins de Bordeaux, un article indiquant que les agents de clarification dont le lait étaient tolérés jusqu'au 30juin 2012 ! « Non seulement, les organismes professionnels qui sont supposés les éclairer sont taisant mais parfois ils sont même incitatifs au crime », relève l'avocat. Une pique qui a valu a ses clients d'être finalement blanchis. Tout du moins pour cette infraction puisqu'ils ont été par ailleurs condamnés à des amendes avec sursis pour avoir utilisé deux noms de château auxquels ils n'avaient pas droit.

http://www.sudouest.fr/2011/11/26/un-sauternes-au-lait-563389-713.php

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