dimanche 1 janvier 2012

Les Grandes affaires criminelles de la Haute-Loire . Une idée fixe : tuer un curé !

Le XIX e siècle s’achève dans un climat politique tendu. Seule république, la III e, au milieu d’une Europe monarchique, c’est la France de Jules Ferry. L’avocat vosgien, anticlérical et franc-maçon, marque l’histoire de son empreinte en bâtissant les principales réformes de l’enseignement public.
La loi de juin 1881 sur l’école gratuite et celle de mars 1882 la déclarant obligatoire et laïque seront adoptées, comme d’autres, dans le tumulte et les escarmouches à l’Assemblée nationale, au Sénat, ainsi que dans l’opinion.
En Haute-Loire, comme partout dans la France profonde de l’époque, les seules influences exercées sur la population sont celles des notables et du curé, fervent défenseur de l’ordre moral. La raison en est simple : l’un parle et l’autre prêche en patois. Quant à l’avocat parisien, clermontois ou lyonnais venant convertir le monde rural à l’esprit républicain, il n’est pas toujours le bienvenu !
La vision est certes réductrice, mais elle s’approche assez bien de la réalité. Composée de paysans, d’artisans et de commerçants, c’est une population plus lourde, plus sombre de couleur et de peau en Auvergne où on a voulu voir les restes d’un peuple préhistorique, décrit d’une manière fort peu flatteuse par un professeur émérite de la Sorbonne, pourtant originaire de Lamastre en Ardèche : Charles Seignobos (1854-1942).
De petite taille et large d’épaules, Pierre Mallet, 36 ans originaire du hameau de « Bavat », sur la commune de Saint-Arcons-d’Allier, se reconnaît facilement par son teint mat, une barbe de plusieurs jours, la large balafre qui lui marque le front jusqu’à l’œil – une marque laissée par un tesson de bouteille au cours d’une rixe dans un cabaret — et son auriculaire gauche sectionné, un souvenir de la bataille de Woerth, en 1870.
Cela fait un moment que Mallet a quitté le pays pour vivre en vagabond. Il y revient en janvier 1882 après avoir croisé l’un de ses frères à Annecy. Lors de ces retrouvailles, on lui apprend que le père vient de mourir et que deux mille francs d’héritage l’attendent chez le notaire à Langeac.
Une fois arrivé près de la terre qui l’a vu naître, pourquoi néglige-t-il ses affaires pour monter un guet-apens visant à trucider un curé à coups de massette derrière la tête ? Pourquoi l’émasculer ensuite ? Dans son livre Le Crime de Saint-Arcons-d’Allier, Roger Archaud décortique le dossier. Bien des années plus tard, ses investigations aboutissent à d’autres conclusions : cet individu était un malade mental et on ne coupe pas la tête à un malade !
Le 3 janvier 1882, il neige à gros flocons sur la région de Saint-Arcons-d’Allier. Pierre Mallet revient au pays et personne ne le reconnaît. Plusieurs témoins peuvent décrire avec précision ses particularités physiques, l’intéressé ne cherchant nullement à les cacher.
Après plusieurs haltes dans les exploitations du secteur et autant, voire plus, de bouteilles de vin sirotées, il est 18 heures lorsque Mallet frappe à la porte du presbytère de Sainte-Marie-des-Chazes. Se présentant comme commis dans une ferme, il déclare que la maîtresse de maison vient de recevoir un mauvais coup de corne de vache. Moribonde, sa famille l’envoie chercher le curé pour lui administrer l’extrême-onction.
Le père Garand accepte de le suivre, non sans dissimuler un pistolet dans une poche de sa soutane en cas de mauvaise rencontre. Plusieurs hommes d’Église, trop confiants, ont été mystérieusement occis ces derniers temps. Sur les sentiers, Mallet tente d’instaurer un climat de confiance, répondant sans rechigner aux questions posées. Il y parvient habilement. Jusqu’à ce que le curé s’aperçoive que son compagnon cherche progressivement à rester en arrière. Le prêtre avance encore et se retourne brusquement : Mallet est ramassé sur lui-même, prêt à bondir, et lâche une bordée de jurons. Le curé Garand recule d’un pas et porte sa main à la poche où se trouve le pistolet. Ce geste vient de lui sauver la vie…
Le soir même, vers 20 heures, Mallet réitère son scénario. Cette fois, il se trouve à Saint-Arcons-d’Allier, la commune où il est né, et frappe à la porte du presbytère. Tout le monde le connaît ici. Tout le monde, sauf le curé Pierre Rivet qui a pris en charge la paroisse après son départ. Mallet use du même stratagème qu’à Sainte-Marie-des-Chazes. Le prêtre accepte de partir avec lui pour donner les derniers sacrements. Il laisse sa belle-sœur, la veuve Rivet.
21 h 30, on tambourine de nouveau à la porte du presbytère. C’est encore Mallet. Il est porteur de nouvelles rassurantes : l’ecclésiastique devrait être de retour avant minuit. Pierre Rivet ne reviendra jamais.
On découvre son corps atrocement mutilé vers 5 heures du matin, en contrebas d’un sentier. En fouillant ses habits, les premiers sur les lieux constatent que la tabatière, la montre et sa chaîne, ainsi qu’une burette, ont disparu.
De leur côté, les gendarmes recueillent les premiers témoignages. Ils affluent de toutes parts, l’auteur présumé ne s’étant pas fait discret dans le pays. Ils sont si nombreux qu’il faut faire le tri. On ne connaît pas encore l’identité du suspect, mais sa description est suffisamment précise et les dépositions assez concordantes pour donner l’espoir d’un dénouement rapide. On pense que l’étau va se resserrer, mais il n’en est rien.
Pierre Mallet poursuit son périple dans le département, alors que toutes les brigades de gendarmerie sont en alerte. On le retrouve le 5 janvier à Yssingeaux. Pierre Mallet est employé comme terrassier sur un chantier de construction d’une ligne de chemin de fer. Il vit sous son vrai nom, change à plusieurs reprises de pensions - de Dunières, il s’installe à Riotord -, va danser le dimanche dans les fêtes, s’intéresse à ce que l’on dit de lui dans les gazettes et s’étonne que personne ne fasse le rapprochement avec lui. Jusqu’au 1 er mars quand deux gendarmes de Riotord l’arrêtent.
Amené à Brioude, Mallet nie tout, mais sa défense ne tient pas face aux charges. Encore plus lorsqu’une aubergiste de Mazeyrat-Crispinhac et plusieurs de ses clients viennent déclarer l’avoir vu ivre, en 1873, vociférant : « Je serai content quand j’aurai châtré un prêtre. Nom de Dieu ! Je serai content d’éventrer un prêtre ! » Ce témoignage pèsera lourd lors du procès qui débute le 23 juin au Puy.
Quarante-deux témoins défilent à la barre. Tous à charge, sauf un. Mallet ne peut pas être un malade mental, c’est juste un homme qui voulait « bouffer » du curé. Des mots, cet anticlérical extrémiste est passé aux actes.
Il est 4 heures du matin ce lundi 28 août 1882 lorsque Louis Deibler, l’exécuteur des hautes œuvres, et ses aides se présentent aux portes de la maison d’arrêt du Puy qui se trouve encore en haute ville. Pierre Mallet est emmené sur la place du foirail. Le couperet tombe à 5 h 30.
Extrait des Grandes affaires criminelles de la Haute-Loire, aux éditions De Borée, avec l’autorisation des auteurs Christophe Bouyer et Jean-Christophe Belz.

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