Décédé en 2009 à l'âge de 72 ans, Alain Marty, l'ancien directeur et fondateur du cinéma d'art et essai Jean-Vigo, rue Franklin à Bordeaux, n'était plus là pour se défendre. Hier, la chambre sociale de la cour d'appel a malgré tout jugé que les éléments en sa possession étaient suffisamment probants pour dire qu'il s'était rendu coupable en 2007 de harcèlement moral sur la personne d'une comptable âgée de 53 ans qu'il venait juste de recruter. L'ancienne salariée a non seulement obtenu 15 000 euros de dommages-intérêts pour réparer le préjudice occasionné, mais la cour d'appel lui a aussi alloué près de 7 500 euros au titre des rappels de salaires, congés payés et autre indemnité compensatrice de préavis.
« Détestable »
La comptable avait été licenciée en mai 2008 après être restée plusieurs mois en arrêt-maladie. La médecine du travail avait alors constaté son « inaptitude absolue et définitive » à occuper tout emploi au Centre Jean-Vigo. Et cela en raison d'une « pathologie secondaire à une situation conflictuelle avec l'employeur ». En 2010, le conseil de prud'hommes avait estimé que ce licenciement, lié aux difficultés de la salariée à tenir ses fonctions, était fondé sur une cause réelle et sérieuse. Et il l'avait déboutée de l'intégralité de ses demandes.
Les magistrats de la cour d'appel qui siégeaient sous la présidence de Monique Castagnède ont procédé à une toute autre lecture du dossier. Pour établir l'existence d'un harcèlement moral, ils se sont notamment fondés sur les attestations sans équivoque rédigées par trois autres salariés mais aussi sur le contenu d'un mémoire établi en 2006 par une étudiante alors en master 2.
« L'établissement était affecté d'un turn-over très important à cause de l'attitude du directeur, souligne la cour d'appel dans les attendus de sa décision. Irritable, agressif, il se livrait à une pression systématique et continue sur les salariés et il était à l'origine d'une ambiance de travail détestable. » Plusieurs anciens collègues de la comptable ont ainsi raconté comment Alain Marty prenait plaisir à l'accabler de tâches et à lui faire remarquer son incompétence. « Il la convoquait régulièrement dans son bureau d'où elle ressortait en colère », observe la cour en relevant qu'il lui reprochait publiquement « des dysfonctionnements constatés même s'il en était le seul responsable ».
Au passif de la liquidation
« Un tel comportement vis-à-vis de la salariée ne peut se justifier même à supposer que le travail n'ait pas été satisfaisant », poursuit la cour d'appel. Du fait de l'attitude d'Alain Marty, la comptable a essuyé une sévère dépression, la médecine du travail exigeant son retrait immédiat de la structure. Quatre ans après son départ, elle obtient finalement gain de cause mais sans pour autant être certaine de récupérer les sommes allouées par la justice. Celles-ci seront en effet inscrites au passif de la liquidation judiciaire de l'association Jean-Vigo Studio Trianon dont est chargée le mandataire judiciaire Me Jean-Denis Silvestri.
Peu après le décès d'Alain Marty, l'association avait en effet déposé son bilan. Depuis plusieurs années, bien que sous perfusion d'argent public, elle était en grande difficulté. La concurrence d'Utopia, les tensions entre le directeur et le personnel et l'attentisme du conseil d'administration l'ont irrésistiblement amenée au grand sommeil après plusieurs décennies flamboyantes.
Les remous suscités par cette disparition n'ont pas encore produit tous leurs effets. Le mandataire judiciaire, Me Jean-Denis Silvestri, a en effet saisi le tribunal de grande instance de Bordeaux. Il lui demande de constater la confusion des patrimoines entre l'association Jean-Vigo et l'association Cinésites (1) et d'étendre la liquidation judiciaire de la première à la seconde. Dirigée elle aussi par Alain Marty, Cinésites organisait des projections de plein air. Les anciens salariés du Jean-Vigo ont toujours affirmé qu'un concours de 100 000 euros de la mairie de Bordeaux qui leur était destiné avait finalement été affecté par Alain Marty à Cinésites. D'où la volonté de Me Silvestri de récupérer les actifs de Cinésites pour éteindre les créances du Jean-Vigo.
(1) L'activité Cinésites se fait désormais dans le cadre de l'association Centre Jean-Vigo événements.
http://www.sudouest.fr/2012/03/08/decede-mais-coupable-653049-2780.php
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