vendredi 30 mars 2012

Idylle brionnaise sur les bords de la Loire (1)

Quand les eaux d’un fleuve rendent un cadavre qui a séjourné dans ses méand reres, la vision des restes humains n’est jamais bien belle. Cette fois, l’image funèbre est encore plus hideuse que d’habitude. Ames sensibles s’abstenir. Car si le cadavre est particulièrement horrible, l’histoire de cette dépouille que rejette le fleuve majestueux, qui demeure impassible et serein, l’est encore davantage.

Mystère

Les autorités locales, bouleversées, qui s’agitent sur les bords de la Loire vont rapidement consigner, dans un rapport en bonne et due forme, les faits suivants : « Il ne nous a pas été possible de découvrir les nom et prénom dudit cadavre, non plus que sa qualité et demeure ».
On ne s’en étonnera guère, en 1805, pas plus que de nos jours d’ailleurs, il n’était pas habituel que les victimes se fassent trucider avec leur arbre généalogique dans leur poche. Pour autant, afin d’amorcer l’enquête, gens du Brionnais et gens venus de l’Allier limitrophe leur prêter main-forte disposent rapidement de quelques indices d’importance.
D’abord, il s’agit d’un cadavre de sexe féminin. Son signalement physique est d’ailleurs assez précis : « visage rond, nez court, cheveux châtains, menton rond, grande bouche ». L’âge estimé est de 25 ans. La manière dont était habillée la jeune personne nous est également fournie par une description que consigne le procès-verbal qui note : une brassière d’étoffe bleue en laine, un jupon de dessus rayé rouge blanc et vert, deux bas de laine.
La victime avait autour du cou un cordon de fil noir portant une croix en cuivre argenté ; mais un autre détail semble plus intéressant : dans une des poches de la noyée, on retrouve un petit bas de laine à moitié tricoté, garni d’aiguilles, et un petit peloton de laine.
Peut-on, dès lors, supposer que si la jeune femme de 25 ans tricotait un chausson d’enfant, c’est qu’elle était dans l’attente de ce que l’on nommait à l’époque « un heureux événement » ? On est d’autant plus à même de le penser que l’officier de santé du Donjon chargé d’examiner le cadavre de la malheureuse ne tarde pas à constater qu’elle était enceinte de 8 mois. La future mère a-t-elle été victime d’un malaise, lié à son état, en se promenant au bord du fleuve ?
Consternantes constatations
Rapidement l’hypothèse d’une noyade accidentelle due à une chute consécutive à un malaise ou l’hypothèse d’un suicide sont exclues. En effet, le corps de la jeune noyée porte en plusieurs endroits des traces de coups et des écorchures bien caractéristiques qui conduisent les enquêteurs à la conclusion suivante, « le cadavre est tombé ou bien la femme a été jetée dans l’eau encore vivante et elle s’est ensuite noyée ». Il est demeuré longtemps enterré dans le sable.
En prenant en considération l’état de putréfaction avancé du corps, les estimations établissent que le décès et la noyade de la victime remontent à environ deux mois. Dès lors, le compte à rebours est lancé et les autorités vont n’avoir aucune difficulté à se souvenir de la disparition d’une jeune paysanne des environs. La machine est désormais en route et ce n’est nullement un hasard si l’on s’empresse de procéder, dans les meilleurs délais, à l’interpellation d’un laboureur.

Le laboureur de Vindecy

A l’époque, on nomme “laboureur”, non pas un paysan en train de labourer son champ, mais un fermier qui est propriétaire de ses terres. Il travaille donc pour son propre compte et de fait jouit d’une certaine aisance.
C’est le cas d’un certain Jacques L., célibataire, âgé de 26 ans environ (dans ces années-là, l’état civil manque parfois de précision), il a fréquenté une certaine Pierrette R. Cette jeune Pierrette demeurait dans une commune proche de Marcigny : Le Lac. Jacques a même fréquenté de si près la jeune Pierrette que des commères prétendent qu’il aurait été forcé de la demander en mariage. Les jeunes gens auraient mis, selon les métaphores en usage dans nos inventives campagnes « la charrue avant les bœufs ». « lls auraient fait Pâques avant les Rameaux ».
Bref, autant de bonnes raisons pour qu’Etienne Bubat, président de la cour de justice criminelle de Saône-et-Loire se déplace en personne pour venir poser quelques questions au jeune Jacques L., le 5 thermidor de l’an XIII. Jacques n’était-il pas le promis de Pierrette R. ? N’est-ce pas étrange que Pierrette, dont on murmure avec vulgarité, qu’elle « avait un polichinelle dans le tiroir », ait disparu depuis près de deux mois.


Albine novarino-pothier

Anthologiste et écrivain, Albine Novarino-Pothier a publié Les Grandes affaires criminelles de Saône-et-Loire et Les Grandes affaires criminelles du Rhône aux éditions de Borée.
http://www.bienpublic.com/faits-divers/2012/03/25/idylle-brionnaise-sur-les-bords-de-la-loire-(1)

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