Les aubergistes dans de sales draps
Le 17 octobre, le juge de paix se rend sur les lieux. Constatant que la serrure de la malle de Dougerolles a été fracturée et qu’il n’y a plus d’argent dans sa chambre, il en vient tout naturellement à soupçonner les aubergistes d’avoir volé leur client. D’autant que la rumeur publique – cette alliée toujours redoutable et parfois précieuse de la maréchaussée – s’empresse de se mêler de l’affaire.Rapidement, des bruits plus que fâcheux se mettent à circuler sur le compte de Marie Gagey, née Gautherot. L’aubergiste, alors âgée de trente-trois ans, serait non seulement une voleuse, mais encore une empoisonneuse. Les rumeurs qui courent sur son compte se font de plus en plus précises. Les langues finissent par se délier et les commères ajoutent, qui plus est, que Marie Gagey n’en serait pas à son coup d’essai. Et on se met à murmurer qu’elle aurait d’autres meurtres à son actif…
L’auberge dans la tourmente
Pur délice des belles provinces endormies où voisins et voisines, cousins et cousines s’embrassent au sortir de la messe dominicale pour mieux s’assassiner hypocritement en cachette, les autorités reçoivent une lettre anonyme… Ce document – conservé aux Archives départementales de Côte-d’Or – met le feu aux poudres. Dès lors, la rumeur enfle et une perquisition de l’auberge est aussitôt organisée. Dans le même temps, tandis qu’une foule de curieux se presse autour des lieux, les gendarmes, sagaces, véloces, avisés, mais discrets, reçoivent l’ordre d’ouvrir l’œil… et le bon… Et bien leur en prend. L’un d’entre eux, en effet, particulièrement subtil, va déjouer le manège de la maîtresse des lieux.Un jour, Marie Gagey, habilement, s’introduit subrepticement dans la chambre de son défunt client. Et voilà qu’elle s’empare d’un petit paquet soigneusement dissimulé sur une étagère… Or, le dit paquet, aussitôt saisi, contient plusieurs enveloppes à l’intérieur desquelles… les gendarmes vont découvrir… de l’arsenic. De vagues présomptions, on passe à de fortes certitudes. Illico, on autopsie Dougerolles et on soumet à l’analyse les résidus des matières qu’il a vomies dans sa chambre. C’est sans grande surprise que les légistes constatent que le tube digestif du mort ainsi que son estomac portent la marque de graves lésions ; dans les matières analysées, ils découvrent également des traces d’arsenic importantes.
Marie Gagey – qui a sommé ses domestiques d’affirmer aux enquêteurs que Dougerolles avait pris son ultime petit-déjeuner seul – est interrogée. Ne pouvant nier que le décès de son client est directement lié à l’ingestion d’arsenic, elle avance alors la thèse du suicide. Le pauvre, désespéré d’être séparé de sa tendre épouse, aurait mis fin à ses jours, par désespoir… Naturellement, personne ne peut croire à cette fable un seul instant. Le divorcé semblait au contraire fort satisfait de sa liberté retrouvée et de sa retraite savourée en paix depuis plusieurs années.
Pour ce qui du vol des effets précieux de Dougerolles et de son argent, Marie Gagey avoue les avoir commis. Elle peut du reste difficilement faire autrement, d’autant que dès le 18 octobre, elle a commencé à rembourser ses créanciers ; elle s’est acquittée d’une dette de 200 francs auprès d’un premier et d’une dette de 537 francs auprès d’un second.
Pour autant, le 27 octobre, alors qu’elle a été emprisonnée car le faisceau de preuves est accablant, on retrouve encore la coquette somme de 700 francs dissimulée à son domicile. Tout cet argent provient à l’évidence des économies dont a été délesté le malheureux Dougerolles. Une banale histoire, en somme. Un crime crapuleux. Tragique, mais simple : une aubergiste empoisonne son client pour le dépouiller.
Rideau ? Eh bien non. Car le pire est à venir. Comme c’est souvent le cas dans les affaires d’empoisonneuses, le plus amer de la potion est au fond du flacon et il stagne. L’affaire de Marie Gagey, née Gautherot, nous réserve encore de bien atroces surprises…
ALbine novarino-Pothier
Anthologiste et écrivain, Albine Novarino-Pothier a publié Les Grandes affaires criminelles de Saône-et-Loire et Les Grandes affaires criminelles du Rhône aux éditions de Boréehttp://www.bienpublic.com/faits-divers/2012/03/11/l-aubergiste-de-vitteaux-manipulait-de-l-arsenic-aussi
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