samedi 24 mars 2012

L’aubergiste de Vitteaux manipulait aussi de l’arsenic

Début octobre 1853, M. Dougerolles a choisi de venir profiter du calme bucolique de Vitteaux. Il a établi sa résidence à l’auberge des époux Gagey. Le 16 octobre, il décède, au terme d’une atroce agonie, et la gendarmerie constate qu’il a été empoisonné à l’arsenic. Une enquête conduit à l’arrestation de Marie Gagey : elle a administré du poison à son pensionnaire, pour faire main basse sur les économies qu’il conservait dans la malle dont elle a visiblement fracturé la serrure. Ressurgit alors dans les mémoires le souvenir de certains décès qui, dans l’entourage proche des aubergistes, avaient paru suspects en leur temps. Alors dans les chaumières, les langues se délient…

Morts étranges chez les tantes des Gagey

En effet, à bien y réfléchir, habitants et habitantes de Vitteaux se mettent à songer que, bizarrement, dans la famille de l’aubergiste et de son époux, il y a eu bien des décès… Son petit calepin à la main, le gendarme de service reprend l’enquête et le moins que l’on puisse écrire… c’est qu’il va aller de surprise en surprise… Le petit calepin revêt en effet rapidement des apparences de cimetière… ou de rubrique nécrologique…
8 avril 1845 : Claudine Bertrand, épouse Commard, est veuve et sans enfant. Moyennant une rente viagère de 300 francs et quelques prestations en nature, elle a vendu à son neveu, l’aubergiste Pierre Gagey, la totalité de ses biens. A 75 ans, Claudine se porte comme le Pont-Neuf. La preuve, en ce matin du 8 avril, elle va emprunter un cuvier à une voisine pour procéder à sa lessive de printemps. Dans le courant de l’après-midi, elle reçoit la visite de sa nièce par alliance, Marie Gagey. Le soir, elle meurt subitement. Aucun médecin n’est appelé à son chevet. On se hâte d’enterrer la tante des époux Gagey…
10 octobre 1849 : Reine Commard, qui a légué ses biens à son neveu Pierre Gagey, reçoit la visite de sa nièce par alliance : Marie Gagey… Cette dernière régale sa tante d’un vin chaud ; l’effet ne se fait pas attendre. Reine hurle qu’elle a les entrailles brûlées ; elle réclame de l’eau à cor et à cri ; elle affirme que ses maux lui viennent du vin que lui a fait boire Marie. Le soir, elle meurt subitement. Aucun médecin n’est appelé à son chevet. On se hâte d’enterrer la tante des époux Gagey. Mais il n’y a pas que chez les tantes des époux Gagey que l’on passe ainsi étrangement et brusquement de vie à trépas…

Morts étranges chez les enfants des Gagey

6 mars 1851 : Marie Gagey accouche d’une petite fille normalement constituée. Soulagement et satisfaction de la sage-femme qui ne peut qu’être grandement atterrée quand, quatorze jours plus tard, le 20 mars, elle est à nouveau convoquée à l’auberge pour jouer cette fois… les ensevelisseuses. En effet, la robuste petite fille est morte subitement, suite à de violents vomissements. Aucun médecin n’a été appelé à son chevet. On l’enterre à la hâte. La mère se remet.
1 er mai 1852 : Marie Gagey accouche d’un petit garçon normalement constitué ; il vit quatre jours, avant de succomber, pendant la nuit, suite à de violents vomissements. Aucun médecin n’a été appelé à son chevet. On l’enterre à la hâte. La mère se remet.
Le meurtre de Dougerolles jette sur cette quadruple coïncidence – qui aurait tout de même dû troubler les cerveaux assoupis des autorités locales – un éclairage violent. Aux pelles, fossoyeurs, la justice des hommes vous appelle ! On exhume tantes et enfants des Gagey. Les cadavres, comme on s’y attend, portent des traces d’arsenic et l’arsenic ne provient pas de la terre du cimetière…

Le procès de Marie Gagey

Le procès de Marie Gautherot, épouse Gagey, se déroule devant la cour d’assise de la Côte-d’Or, du 21 au 23 août 1854. Le chroniqueur de L’Union bourguignonne, qui le relate, présente Marie comme agressive, haineuse, hargneuse, vindicative. Elle est donnée comme vulgaire et frisant la démence. En revanche, son mari, qui offre un saisissant contraste avec elle, est peint sous les traits d’un joli garçon, timide, plutôt taciturne, qui aurait été manipulé.
Si Marie Gagey est au final reconnue coupable de cinq crimes d’empoisonnement et condamnée à la peine de mort et exécutée, lui, ne sera reconnu coupable que de complicité de vol. Ce verdict est loin de satisfaire M. Durey-Comte, l’ami de M. Dougerolles, qui lui avait indiqué l’auberge des Gagey comme un séjour charmant. Comment, en effet, expliquer que ce conjoint toujours présent du soir au matin et du matin au soir n’ait pas été peu ou prou complice des cinq empoisonnements ? Restons zen et ne nous mettons pas les nerfs au court-bouillon, mais si Marie n’avait été qu’une exécutante ? Et si le vrai instigateur des cinq meurtres avait été Pierre, lui qui, sitôt sa légitime épouse décapitée, a ouvert l’auberge à nouveau et s’est mis en ménage avec une de ses serveuses ?

ALbine novarino-Pothier

Anthologiste et écrivain, Albine Novarino-Pothier a publié Les Grandes affaires criminelles de Saône-et-Loire et Les Grandes affaires criminelles du Rhône aux éditions de Borée
http://www.bienpublic.com/faits-divers/2012/03/18/l-aubergiste-de-vitteaux-manipulait-aussi-de-l-arsenic

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