vendredi 27 avril 2012

La mégère incendiaire du Brionnais

Nous sommes au cœur de l’été : le 28 juillet 1930. Melay, paisible petite commune située au sud extrême de la Bourgogne, sommeille, engourdie dans la chaleur. Sauf que le bourg ne va pas tarder à sortir de sa torpeur et que la chaleur ne va pas être seulement liée à la saison…

Madeleine et ses voisins

Dans le logis dont elle est locataire, Madeleine vient de mettre le feu. Elle a confectionné un petit “torchon” de paille, l’a enflammé et placé sous son armoire. Le feu prend rapidement et bientôt, c’est toute la maison qui est touchée par l’incendie.
Madeleine ne jouit pas d’une excellente réputation dans la commune. Pour autant, quand les voisins entendent les lugubres crépitements, ils se précipitent ; en quelques heures, le sinistre est maîtrisé. Si aucune victime n’est à déplorer, les dégâts matériels, vite évalués, sont relativement importants : ils se chiffrent aux alentours de 10 000 francs, ce qui correspond, globalement, à plusieurs dizaines de milliers d’euros.
Les enquêteurs n’ont pas à se poser longtemps la question de savoir qui a allumé le feu : la sulfureuse réputation de la locataire des lieux leur fournit une piste qui se révèle d’emblée la bonne. D’ailleurs, l’habitante du logis réduit en cendres ne cherche nullement à échapper à la justice.

Explications, procès

Les enquêteurs vont donc l’interroger sur les raisons qui l’ont conduite à accomplir son geste pour le moins étrange. Sans se faire prier, elle explique qu’étant âgée de 67 ans, n’ayant pas de famille, elle ne veut pas finir ses jours dans ce qu’elle nomme avec mépris « un asile de vieux ».
Alors, pour être certaine de ne pas être placée dans un de ces hospices « qui coûtent des sous », elle a brûlé tout ce qu’elle possédait. Le monde selon Madeleine est-il le monde selon la police et la justice françaises ? Son procès va révéler un personnage haut en couleur.
Le 27 octobre 1930, la cour d’assises de Saône-et-Loire juge l’incendiaire de Melay. Découverte d’un personnage pittoresque : née le 10 juillet 1863 à Melay, Madeleine Montgilbert épouse Simon Laget ; elle est alors âgée de trente-sept ans. Sa vie conjugale ne durera que 96 jours ; mais pour les enquêteurs, l’essentiel est ailleurs.
Si Madeleine passe pour être débauchée et voleuse, il y a plus grave ; la rumeur publique l’accuse d’avoir tenté d’allumer des feux à Melay et dans les environs depuis une bonne trentaine d’années. Certains ont causé des dégâts, d’autres non. Confrontée à cette accusation, la sexagénaire, qui donne un sacré fil à retordre à son avocat, Maître Poulachon, du barreau de Mâcon, répond : « la rumeur publique n’avait qu’à me faire arrêter ».
L’étonnant phénomène de foire amusera la galerie tout au long de son procès. Il y a notamment quelques échanges de réparties entre Madeleine Montgilbert et le président qui sont assez piquants. Ainsi, quand il lui pose la question : « vous êtes plus canaille que folle ? », elle lui réplique, sans se démonter : « si je suis une canaille, on n’a qu’à me punir ; si je suis folle, qu’on m’enferme ». C’est la logique selon Madeleine Montgilbert.
Pour autant, si elle sait mettre les rieurs de son côté, l’espace de quelques secondes, elle n’a pas que des amis. Loin s’en faut. Le défilé des témoins à la barre le prouve. Le propriétaire de l’immeuble où elle demeurait va l’accabler, précisant d’emblée « qu’elle était très redoutée dans tout le pays ».
Le garde champêtre confirmera qu’elle était effectivement crainte dans tout le canton et que tout le monde la considérait comme une voleuse dont il fallait se méfier. Puis, c’est au tour du gendarme Richon de venir témoigner ; il affirme que la prévenue était bel et bien en état d’ébriété tandis que son logis était la proie des flammes. Il en rajoute une couche en soulignant que l’arrestation de cette citoyenne peu ordinaire « a causé une grande joie dans la commune ».

La plaie des campagnes

Maître Poulachon a effectivement du pain sur la planche. Le dossier se révèle ardu. Il a la bonne idée de rappeler que le divorce des époux Laget a été prononcé au profit de Madeleine et que, de toute évidence, sa cliente a été victime de cette ignoble plaie des campagnes qui a pour nom calomnie.
Il requiert en conséquence l’indulgence du jury pour la sexagénaire. Mais l’acariâtre incendiaire de Melay s’était fait trop d’ennemis et elle n’a pas su convaincre le jury : elle écopera de cinq ans de réclusion et de dix ans d’interdiction de séjour, à une époque où un incendiaire reconnu coupable sans circonstances atténuantes pouvait être condamné à mort.

Albine Novarino-pothier

Anthologiste et écrivain, Albine Novarino-Pothier a publié Les Grandes affaires criminelles de Saône-et-Loire et Les Grandes affaires criminelles du Rhône aux éditions du Borée.

http://www.bienpublic.com/faits-divers/2012/04/22/la-megere-incendiaire-du-brionnais

Aucun commentaire: