samedi 26 mai 2012

À Romenay, Pont contre Pommier : tout sauf une histoire drôle

Lundi 14 décembre 1829. Contrairement à ce que nous pourrions imaginer, Romenay n’est pas assoupi en ce début de soirée. Mais une certaine animation règne, du moins dans le centre de Romenay.

Bal au café

Joseph Pont, domestique de culture, est venu boire un verre dans un café de Romenay. Deux autres jeunes hommes, Pierre Pommier et Joseph Vialet se sont également rendus dans le même établissement. Est-ce la proximité des fêtes de fin d’année ? En ce début de semaine, l’ambiance dans le cabaret est plutôt détendue, et un petit bal improvisé s’organise. Vers dix heures du soir, pour employer la poétique terminologie en vigueur à l’époque, Pommier se lève et entraîne sur la piste un certain Joseph Joubert… qui n’est visiblement pas d’accord pour cette contredanse. Cette invitation un peu maladroite est suivie d’une discussion houleuse qui s’envenime très rapidement. On peut imaginer que l’alcool échauffe les esprits et n’est pas étranger à la violence des échanges verbaux entre les deux jeunes gens. Mais les autres consommateurs mettent rapidement le holà à cette dispute et finalement, au vif soulagement du patron, tout rentre dans l’ordre. Enfin… en apparence. Car comme bien souvent en pareil cas, le pire est toujours ce qui est à venir…

Bagarre dans la nuit

Quelques minutes après cette altercation avec Joseph Joubert, Pierre Pommier et Joseph Vialet quittent l’estaminet. Or, à peine ont-ils fait quelques pas dans la rue qu’ils sont rattrapés par Joseph Pont. Pont interpelle Pommier. Vialet, qui semble pressentir que les choses vont mal tourner, conseille à son ami de se hâter, mais Pommier ne se méfie pas le moins du monde. Tandis qu’il se retourne pour écouter ce que Pont souhaite lui dire, ce dernier est visiblement animé de mauvaises intentions. Accompagné de Joubert, il se dirige vers un tas de bois. Joubert, qui visiblement a mal vécu d’avoir été invité à une contredanse au café pousse Pommier à l’aide d’un bâton qu’il a prélevé dans le tas de bois. Jugeant qu’il ne met pas assez de violence dans son geste, Pont l’excite à être plus sauvage : c’est avec énervement qu’il lui arrache le bâton des mains et frappe Pommier sur la tête. Le coup asséné est si rude que Pommier tombe, comme une masse, dans le fossé. Là encore, ce sont les consommateurs du café qui interviennent pour éviter que la bagarre ne dégénère ; ils s’interposent, évitant que Pont ne continue à s’acharner sur Pommier. Ce dernier parvient péniblement à se relever. Pierre Pommier n’est pas très en forme. Il a très mal à la tête. Il a envie de vomir. Il répond cependant à ceux qui lui posent des questions sur son état de santé qu’il se sent très bien. Il ne veut pas paraître ridicule ; au fond, il est un peu vexé et son orgueil ait été mis à mal. Dans le même esprit, le jeune homme redoute d’être réprimandé par ses parents ; il parvient à convaincre son fidèle ami Vialet de le raccompagner jusque chez lui – parce qu’il a quand même les jambes qui flageolent et que d’étranges papillons voltigent devant ses yeux. Il lui fait promettre de ne rien dire ni à son père ni à sa mère des incidents de cette pitoyable soirée par trop arrosée…

Et le lendemain…

Mardi 15 décembre 1829. Pierre Pommier a mal dormi. Mais il n’est pas du genre à se plaindre. Dans une aube grise, glaciale, il se lève et part travailler, comme si de rien n’était. Il souffre toute la journée, et il serre des dents pour ne pas hurler : il a mal à la tête à se la cogner contre les murs. Mais son orgueil lui permet de tenir bon. Il se dit qu’il se vengera de Pont et de Joubert. Il se dit aussi que ce qu’il parvient à supporter, peu d’hommes parviendraient à l’endurer. Le soir, sitôt une petite goutte de soupe avalée, du bout des lèvres, il se couche. Il n’en peut plus. Il est livide. Une heure plus tard, il est mort. Sa famille atterrée est dans l’incompréhension la plus totale. La rumeur publique ne va pas tarder à l’avertir des incidents du lundi qui ont conduit le jeune homme vers une mort précoce, stupide et cruelle.

Et pour clore…

L’enquête est facile à mener ; compte tenu du nombre de témoins qui ont assisté à l’altercation et à la bagarre, Joseph Pont est rapidement arrêté et il ne peut nier les faits. L’autopsie de Pommier établit clairement qu’il a succombé des suites d’un épanchement de sang au cerveau, épanchement consécutif à un coup violent porté sur la tête. Défendu par Maître Jailloux, Pont allègue qu’il avait été provoqué par Pommier, ce qui est faux, qu’il avait bu, ce qui ne saurait constituer une excuse suffisante, même à l’époque, où l’indulgence concernant l’ivresse était extrême. Il précise également qu’il n’avait pas l’intention de frapper le malheureux aussi violemment. Le 17 mars 1830, pour le meurtre de Pierre Pommier, Joseph Pont est condamné à six mois de prison (ce qui est peu) et il doit verser 175 francs de dépens (ce qui est une somme importante, en comparaison avec d’autres affaires similaires).

Albine Novarino-pothier

Anthologiste et écrivain, Albine Novarino-Pothier a publié Les Grandes affaires criminelles de Saône-et-Loire et Les Grandes affaires criminelles du Rhône aux éditions De Borée.
http://www.bienpublic.com/faits-divers/2012/05/20/a-romenay-pont-contre-pommier-tout-sauf-une-histoire-drole

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