samedi 23 juin 2012

Gaëlle Grouchetzky condamnée à 25 ans de réclusion pour infanticide

Les jurés ont écarté l’irresponsabilité pénale pour troubles psychiques mais retenu l’altération du discernement au moment des faits. L’avocat général avait requis trente ans de réclusion criminelle
Le père des petits Raphaël et Gabriel pouvait-il, d'une façon ou d'une autre, éviter le drame ? Rien n'est moins sûr. Dans leur extrême complexité, les ressorts du psychisme humain ne sont pas à la portée du commun des mortels, les professionnels eux-mêmes, en perdent parfois leur latin. Un expert venu témoigner devant la cour d'assises de Haute-Corse a eu la sagesse de rappeler que le « psychiatre n'est pas devin ».
En l'absence de diagnostic de pathologie mentale , rien ne permettait en effet d'entrevoir les risques qui pesaient sur les deux garçonnets retrouvés noyés dans leur baignoire le 13 janvier 2010.
La nouvelle avait fait l'effet d'une secousse sismique dans le petit village de Cardo, l'annonce de la condamnation de la mère infanticide agit aujourd'hui comme une cinglante déflagration qui ravive le souvenir de ce funeste jour.
«Disqualifier le père»
Dans le sillage des parties civiles, le ministère public a stigmatisé hier, les « efforts de dissimulation »de l'accusée qui, tout au long de ces éprouvantes journées d'audience présidées par David Macouin, comme à l'instruction,« n'a rien livré de la réalité de ses agissements ». Et il s'est employé à dévoiler les aspects « les plus sombres » de cette femme de 39 ans, qui « ne s'est jamais départie du masque qu'elle a toujours porté ».
« Cette affaire nous précipite dans un état de stupéfaction absolue », déclarait Benoît Couzinet requérant, au terme d'une intervention de deux heures, une peine de trente ans de réclusion criminelle à l'encontre de la mère infanticide.

« Nous ne voulons pas la rejeter dans la geôle la plus profonde, mais sa responsabilité ne peut être écartée »,a-t-il affirmé, évoquant un « processus de pulsion d'emprise lié à des traits de personnalité narcissiques sous une forme grave ». L'avocat général s'est attardé sur le profil de Gaëlle Grouchetzky, qui n'a eu de cesse de « disqualifier » Stéphane Retali dans son rôle de père, « en le dénigrant, le harcelant de reproches incessants ».
C'est elle , insiste-t-il, « qui, dans le besoin impérieux d'exercer son emprise, multiplie les incidents, crée le conflit au sein du couple, laissant libre cours à sa jalousie, gâchant les moments de bonheur ».
«Une détermination absolue»
Lorsque Stéphane Retali réagit enfin, demande l'intervention d'une assistante sociale, elle conçoit qu'il va faire respecter ses droits de garde, qu'elle va perdre son empire sur lui : « C'est un déclencheur mais l'idée de supprimer les enfants trotte dans sa tête deux jours au moins avant les faits. Elle veut trancher tout lien entre le père et les petits garçons ».
Quant aux faits, « terrifiants », ils sont accomplis « avec une détermination absolue, et non sous l'effet d'une impulsion subite et irrésistible. C'est un cheminement, et ce geste était bien dirigé contre le père ».
Benoît Couzinet qui s'était rendu sur les lieux le jour de la tragédie, lors de l'intervention de la police, a toujours à l'esprit la vision de la baignoire et « du corps des bambins sous des couvertures ».
Tous les éléments recueillis dressent le « portrait d'une criminelle », à laquelle il accorde néanmoins « une souffrance objectivée par certains événements de la vie » . Femme « immature, égocentrique, en quête affective constante, elle est construite sur un mode très précaire.Ses enfants n'avaient pas d'existence propre, donc elle ne peut pas ressentir de culpabilité. Elle est tout juste consciente d'avoir enfreint un interdit légal, mais pas plus ».
La défense, d'une même voix, plaide le crime pathologique et l'abolition du discernement. Me Céline Pianelli, tout d'abord, qui veut aller plus loin dans la compréhension de l'acte, « car il importe de savoir comment une mère en arrive à ce geste extrême. Personne ne naît suicidaire ou meurtrier. Ce sont les événements de la vie qui nous construisent et font ce que nous sommes ».
«Extrêmement vulnérable»
L'avocate voit une femme en souffrance au moment du crime : « Une catastrophe psychologique la pousse. Elle est extrêmement vulnérable, il lui est impossible de déprimer normalement, de gérer ses émotions. Elle n'a jamais de comportements normaux face à l'échec, son parcours le démontre. Elle est intolérante à la frustration. D'ailleurs, toutes les mères infanticides souffrent de troubles graves, ce sont des femmes dépassées ».
Pour Me Martine Caporossi-Poletti, on ne peut échapper dans ce dossier à la question de l'abolition du discernement. Il est important à ses yeux, en effet, de savoir si Gaëlle Grouchetzky avait un jugement libre de tout trouble du psychisme au moment de l'acte. Dans sa démonstration, elle fait prévaloir l'analyse du Dr Chanseau qui « explique plus clairement que d'autres experts »,le mécanisme intime liant la mère à ses enfants.
Ces derniers ne sont pas des objets comme on a voulu l'affirmer, « ils sont une partie d'elle-même. Autrui n'est jamais un tiers séparé d'elle mais quelqu'un au bout d'un lien dont elle doit garder la maîtrise. Il lui est impossible d'imaginer que quelqu'un pouvait faire tiers. Elle est dans la non-distinction et de fait, dans la non-réalité ».Le psychiatre a également exclu le registre de la perversion et parle plutôt d'une personnalité borderline.
«En tuant elle se suicide»
« Confrontée à un événement exceptionnel, ses symptômes apparaissent. Elle ne peut construire un dialogue et passe à l'acte, c'est le seul moyen d'endiguer le traumatisme. En tuant les enfants, elle se suicide. La vengeance n'est pas le mobile. On est proche de la psychose, de la folie, et son état réclame des soins que la prison ne pourra lui apporter ».
Me Marc-Antoine Luca s'inscrit dans ce raisonnement, et pointe une responsabilité collective, déplorant« des manquements, l'absence de signalement, alors qu'il y avait des signes avant-coureurs. Elle avait besoin d'être soutenue, soignée, suivie. Seul, Stéphane Retali a eu ce souci, même après la séparation. »
L'avocat évoque enfin, « une petite fille qui a grandi trop vite, appris trop vite des secrets d'adultes », une mère en proie à des troubles graves de la personnalité qui a agi « mécaniquement, sans émotion ».
Il rappelle que le Dr Chanseau a laissé entendre qu'on était « en limite de l'état psychotique », qu'elle n'a pu vouloir retirer les enfants au père, puisqu'elle« lui niait son rôle ».Au terme de deux heures de délibérations, la cour d'assises a condamné Gaëlle Grouchetzky à 25 ans de réclusion criminelle. Les jurés ont répondu par la négative à la question relative à l'irresponsabilité pénale pour troubles psychiques « ayant aboli le discernement », retenant toutefois l'altération du discernement. L'accusée a accueilli le verdict sans réaction.

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